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Sociétés - Reprise des sanctions en cas d'absorption : l'alignement des planètes juridictionnelles

Droit pénal

Fleur Jourdan et Bérénice De Warren
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Sociétés - Reprise des sanctions en cas d'absorption : l'alignement des planètes juridictionnelles - Commentaire par Fleur Jourdan et Bérénice De WarrenVoir toutVisualiser l'article dans sa version PDFLa Semaine Juridique Edition Générale n° 50-52, 18 décembre 2023, act. 1459Reprise des sanctions en cas d'absorption : l'alignement des planètes juridictionnellesCommentaire par Fleur Jourdan associée fondatrice Fleurus Avocatset Bérénice De Warren avocate associée, cabinet MaisonneuveSociétésSolution. - Par une décision du 10 novembre 2023 le Conseil d'État étend le principe de transmissibilité de toutes les sanctions, y compris le blâme, de la société absorbée vers la société absorbante.

Impact. - Ce faisant le Conseil d'État s'inscrit dans la lignée de l'évolution du droit européen et du droit pénal et parachève le mouvement de transmission des sanctions dans le cadre d'une opération de fusion-absorption.

CE, 10 nov. 2023, n° 460684 : LebonNote :Arrêt non reproduit - Accessible sur Lexis360 Intelligence

Sous l'influence du droit européen, la Cour de cassation a récemment admis, par un revirement de jurisprudence très commenté, que la sanction pénale applicable à une société pouvait être transmise à la société qui l'absorbait (Cass. crim., 25 nov. 2020, n° 18-86.955 : JurisData n° 2020-019279 ; JCP G 2021, doctr. 27, étude J.-Ch. Saint-Pau ; JCP G 2021, 17, note D. Rebut ; Dr. sociétés 2021, comm. 13, obs. R. Salomon ; Dr. pénal 2021, comm. 2, obs. Ph. Conte ; JCP E 2021, 1006, note F. Stasiak ; Rev. int. Compliance 2021, comm. 56, obs. N. Brooke et M.-A. Nicolas). Pour certains, ce principe heurte le principe définit aux articles 8 et 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de personnalité des délits et des peines applicable aux personnes morales.

Pourtant, depuis ce revirement de 2020, le mouvement de transmissibilité des sanctions dans ce type d'opération ne cesse de se renforcer.

Dans la décision ici commentée, le Conseil d'État considère désormais que même les sanctions non pécuniaires telles que les blâmes, qui ne font que porter atteinte à la réputation de la société qui disparaît, peuvent également être transmises à la société qui en reprend l'activité.

Ainsi en droit interne, les limites à la transmissibilité des sanctions semblent peu à peu se réduire comme peau de chagrin. Si la jurisprudence française en la matière semble désormais bien établie, elle trouve sa source et sa justification dans l'arsenal juridique européen.

  1. L'impulsion européenneC'est tout d'abord la Cour de justice, par un arrêt du 5 mars 2015, Modelo Continente Hipermercados SA c/ Autoridade para as Condiçoes de Trabalho (CJUE, 5 mars 2015, aff. C-343/13 : JurisData n° 2015-006137), qui est intervenue pour ouvrir la voie à un transfert de la responsabilité pénale de la société absorbée vers la société absorbante. En l'espèce, dans le cadre d'une fusion-absorption, une société absorbante s'était vu infliger des peines d'amendes pour des infractions à la législation nationale commises par la société absorbée. La société absorbante soulevait alors, devant la Cour de justice, plusieurs questions dont celle de savoir si « à la lumière du droit [de l'Union], en particulier [de l'article 19, paragraphe 1, sous a), de la directive 2011/35], la fusion de sociétés implique(-t-elle) un régime de transmission de la responsabilité contraventionnelle à la société absorbante pour des faits commis par la société absorbée avant l'enregistrement de la fusion ? ». Était aussi posée la question de savoir sila sanction de nature contraventionnelle prononcée contre la société absorbée peut être considérée comme une créance d'un tiers (en l'occurrence l'État, pour infraction à des normes de la législation du travail) qui serait transférée à la société absorbante à la suite d'une fusion absorption.

La Cour répondait alors que « l'article 19, paragraphe 1, de la directive 78/855 doit être interprété en ce sens qu'une “fusion par absorption”, au sens de l'article 3, paragraphe 1, de ladite directive, entraîne la transmission, à la société absorbante, de l'obligation de payer une amende infligée par décision définitive après cette fusion pour des infractions au droit du travail commises par la société absorbée avant ladite fusion ». Ainsi, admettait-elle, en creux, que le transfert de responsabilité pénale pouvait être opéré dans le cadre de fusions-absorptions. Elle se fondait notamment sur le principe même de l'opération : celle d'une transmission « universelle » du patrimoine, tant actif que passif. Dès lors, les dettes, notamment celles à l'égard de l'État, étaient nécessairement transférées à la société absorbante.

Elle écartait l'argument soulevé de l'intérêt des créanciers et des actionnaires de la société absorbante, arguant de la possibilité, pour eux, de se prémunir au moment de l'acceptation de la fusion par des garanties particulières et des clauses spécifiquement insérées.

Toutefois, la Cour demeurait muette sur la question de la compatibilité d'un tel transfert avec le principe de responsabilité personnelle, laissant ainsi en suspens ce sujet juridique essentiel. Le principe de responsabilité personnelle constitue en effet un droit fondamental, protégé par la Convention EDH (Conv. EDH, art. 6), qui, bien que l'Union européenne n'en soit pas partie, s'impose à l'ensemble de ses États membres.

Cette reconnaissance de transfert de responsabilité semble avoir été confirmée par le Parlement européen et le Conseil de l'Union européenne, qui, dans une directive du 14 juin 2017 (PE et Cons. UE, dir. (UE) 2017/1132, 14 juin 2017, relative à certains aspects du droit des sociétés, art. 105), précisaient : « La fusion entraîne ipso jure et simultanément les effets suivants : a) la transmission universelle, tant entre la société absorbée et la société absorbante qu'à l'égard des tiers, de l'ensemble du patrimoine actif et passif de la société absorbée à la société absorbante ; b) les actionnaires de la société absorbée deviennent actionnaires de la société absorbante ; et c) la société absorbée cesse d'exister ». Si ces dispositions préexistaient dans la réglementation européenne (Cons. UE, dir. 78/855/CEE, 9 oct. 1978, relative à la fusion des sociétés anonymes, art. 19, § 1), une telle codification s'apparentait à une confirmation implicite de la position de la Cour de justice, laquelle se fondait sur la transmission universelle du patrimoine.

Allant dans le même sens, la Cour EDH a considéré, en 2019, que l'« approche [des tribunaux] fondée sur la continuité économique [et fonctionnelle] de l'entreprise, qui vise à prendre en compte la spécificité de la situation générée par la fusion-absorption d'une société par une autre, ne contrevient pas au principe de la personnalité des peines tel [que] garanti par la Convention » (CEDH, 24 oct. 2019, n° 37858/14, Carrefour c/ France, § 47 : JurisData n° 2019-018932 ; JCP G 2019, act. 1195, obs. L. Milano).

Toutefois, il semble essentiel de noter que, si, en apparence, la Cour admet le transfert de responsabilité pénale, les faits de l'espèce étaient relatifs à une amende civile, issue des dispositions du Code de commerce, et non une amende en matière pénale. Si la Cour estime que « l'article 6 de la Convention, dans son volet pénal, est applicable à l'amende civile à laquelle la société requérante a été condamnée », on ne peut considérer qu'elle a expressément jugé que le transfert de responsabilité pénale à la suite d'une fusion-absorption est conforme à la Convention européenne, et particulièrement à son article 6.

Cependant c'est après avoir fait un rappel détaillé de cette évolution européenne que la Cour de cassation, dans son arrêt du 25 novembre 2020 parvient à la conclusion que la fusion-absorption entraîne un transfert de responsabilité pénale. Aussi, va-t-elle jusqu'à reprendre expressément dans sa décision les motivations des différentes cours européennes, telles que la continuité économique des entités, l'« impératif d'efficacité de la sanction pécuniaire » ou encore la « protection des intérêts, les entités qui, à la date de la fusion, ne sont pas encore à qualifier de créanciers ou de porteurs d'autres titres, mais qui peuvent être ainsi qualifiées après cette fusion en raison de situations nées avant celle-ci ».

  1. Le revirement remarqué de la Cour de cassation en 2020A. - La jurisprudence pénale antérieure au revirement de jurisprudence du 25 novembre 2020Aux termes de l'article 121-1 du Code pénal, « nul n'est responsable pénalement que de son propre fait ». S'appuyant sur ce principe, la Cour de cassation considérait initialement de façon constante qu'à la suite d'une fusion-absorption, la société absorbante ne pouvait être poursuivie et condamnée pénalement pour des faits commis par la société absorbée antérieurement à ladite fusion-absorption (Cass. crim., 20 juin 2000, n° 99-86.742 : JurisData n° 2000-002990). Selon la Cour, cette opération faisait perdre à la société absorbée sa personnalité juridique et entraînait l'extinction de l'action publique en application de l'article 6 du CPP, qui vise « la mort du prévenu » comme cause d'extinction de l'action publique. Ainsi, cette interprétation reposait sur « l'assimilation de la situation d'une personne morale dissoute à celle d'une personne physique décédée » (Cass. crim., 20 juin 2000, n° 99-86.742, préc. § 20).

Ce principe était uniquement écarté en cas de fraude à la loi, c'est-à-dire lorsqu'il était prouvé que la fusion-absorption avait eu pour seul objet de faire échapper la société absorbée à sa responsabilité pénale. La société absorbante pouvait alors voir sa responsabilité pénale engagée pour des faits commis antérieurement à la fusion-absorption par la société absorbée.

Ce régime pouvait cependant sembler inéquitable : pour les mêmes faits, les personnes physiques - anciens représentants de la personne morale absorbée - pouvaient être poursuivies et condamnées pénalement, contrairement à la société absorbée pour le compte de laquelle elles avaient agi et à la société absorbante, qui continuait à bénéficier pourtant du patrimoine de la société absorbée.

De nombreuses juridictions du fond résistaient à cette interprétation en reconnaissant la transmission de la responsabilité pénale de la société absorbée à la société absorbante même en l'absence de fraude à la loi.

B. - Le revirement de jurisprudence du 25 novembre 2020Par un arrêt remarqué du 25 novembre 2020, la chambre criminelle de la Cour de cassation a effectué un revirement de jurisprudence. Elle a ainsi déclaré qu'en cas de fusion-absorption d'une société anonyme ou d'une société par actions simplifiée, la société absorbante peut-être poursuivie et condamnée pénalement à une peine d'amende ou de confiscation pour des faits constitutifs d'une infraction commise par la société absorbée avant l'opération de fusion-absorption.

La Cour a ainsi pris en considération les différences concrètes entre une personne morale et une personne physique, pour distinguer leur régime de responsabilité pénale. Sa jurisprudence antérieure, consistant à assimiler la situation d'une personne morale dissoute à celle d'une personne physique décédée, relevait d'une « approche anthropomorphique de l'opération de fusion-absorption ». Or, selon elle, cette approche « doit être remise en cause car, d'une part, elle ne tient pas compte de la spécificité de la personne morale, qui peut changer de forme sans pour autant être liquidée, d'autre part, elle est sans rapport avec la réalité économique » (Cass. crim., 25 nov. 2020, n° 18-86.955, préc. § 21).

Dans son arrêt, la Cour constate qu'il existe une « continuité économique et fonctionnelle » entre la société absorbante et la société absorbée, qui conduit à ne pas les considérer comme distinctes. La dissolution de la société absorbée n'entraîne pas sa liquidation. Le patrimoine de la société absorbée, son actif comme son passif, est universellement transmis à la société absorbante. Les actionnaires de la première deviennent actionnaires de la seconde. Enfin, tous les contrats de travail en cours au jour de l'opération se poursuivent entre la société absorbante et le personnel de l'entreprise. Il en résulte que l'activité économique exercée dans le cadre de la société absorbée, qui constitue la réalisation de son objet social, se poursuit dans le cadre de la société qui a bénéficié de cette opération. La société absorbante, bénéficiant du patrimoine économique et fonctionnel de la société absorbée, doit donc supporter en contrepartie la responsabilité pénale liée à la gestion passée de ce patrimoine, et prendre en charge les sanctions pénales pécuniaires affectant ce patrimoine.

Ainsi qu'expliqué dans son arrêt, ce revirement permet à la Cour de cassation d'aligner sa position avec celles de la Cour EDH et de la Cour de justice, et notamment de l'arrêt du 5 mars 2015 précité. La référence à la jurisprudence de la Cour de justice démontre la volonté de tenir compte, même en droit pénal, de l'objet avant tout économique d'une société de capitaux. Appuyant son revirement sur les directives européennes visées par cet arrêt, la Cour de cassation a limité son effet aux fusions des sociétés visées par ces directives - les sociétés anonymes et sociétés par actions simplifiées.

Cependant, constatant elle-même le caractère imprévisible de son revirement de jurisprudence, la chambre criminelle a précisé expressément que cette nouvelle interprétation ne s'appliquerait qu'aux fusions-absorptions conclues postérieures à son revirement. Enfin, seules les amendes et les confiscations peuvent être prononcées comme peine à l'encontre de la société absorbante dans cette situation. Il s'agit donc uniquement des sanctions pécuniaires et non des autres peines visées à l'article 131-39 du Code pénal (ex. : dissolution, placement sous surveillance judiciaire, etc.) En contrepartie, tous les moyens « de défense » que la société absorbée aurait pu invoquer peuvent être invoqués par la société absorbante.

Par ailleurs, la Cour confirme sa doctrine en cas de fraude à la loi, qui reste applicable aux fusions-absorptions conclues avant son revirement à toutes les sociétés, quelle que soit leur forme, pour lesquelles l'opération de fusion-absorption avait pour unique objet de faire échapper la société absorbée à sa responsabilité pénale. Dans ce cas, toute peine encourue peut être prononcée.

Subsistent certaines interrogations, notamment sur la situation patrimoniale à prendre en compte pour fixer la peine à prononcer contre la société absorbante (V. en ce sens F. Stasiak, JCP E 2021, 1006). En tout état de cause, la Cour de cassation a continué par la suite à poser les jalons de cette répression renforcée contre les personnes morales.

C. - Le renforcement de la détection des fraudes à la loiConfirmant ce mouvement, dans un arrêt du 13 avril 2022, la chambre criminelle a renforcé les obligations des juges d'instruction concernant la détection de la fraude à la loi (Cass. crim., 13 avr. 2022, n° 21-80.653 : JurisData n° 2022-005608 ; JCP G 2022, 880, note J.-Ch. Saint-Pau ; Dr. sociétés 2022, comm. 71, obs. R. Salomon ; Rev. int. Compliance 2022, comm. 157, obs. C. Ascione Le Dréau).

En l'espèce, une fusion-absorption avait été réalisée en 2005, soit avant le revirement de jurisprudence du 25 novembre 2020. Or les juridictions d'instruction n'avaient pas vérifié d'office si cette fusion-absorption n'avait pas eu pour seul objet de permettre à la société absorbée d'échapper à sa responsabilité pénale, constituant une fraude à la loi. Dans son arrêt, la Cour a imposé aux juridictions d'instruction de « vérifier, soit d'office, soit à la demande d'une partie qui l'invoque, au besoin en ordonnant un supplément d'information, si les conditions pour exercer des poursuites à l'encontre de la société absorbante ne sont pas susceptibles d'être remplies ». « Le moyen tiré de l'existence d'une fraude à la loi entachant l'opération de fusion touchant à l'action publique devait donc impérativement être considéré comme d'ordre public » (précisions sur la responsabilité pénale de la société absorbante du fait de la société absorbée : Dr. sociétés 2022, comm. 71, obs. Renaud Salomon).

Ainsi la Cour de cassation continue d'étendre la transmissibilité des sanctions dans le cadre d'une opération de fusion-absorption, entraînant à sa suite l'autre juridiction suprême : le Conseil d'État.

  1. L'extension de la position du Conseil d'ÉtatLa reprise des sanctions d'une société absorbée par la société absorbante n'est pas vraiment une nouveauté en matière de droit administratif. En effet, dès 2000, le Conseil d'État s'était écarté de la jurisprudence de la Cour de cassation en jugeant qu'une société absorbante pouvait faire l'objet d'une sanction pécuniaire pour les manquements de la société absorbée (CE, sect., 22 nov. 2000, n° 207697, Sté Crédit agricole Indosuez Chevreux : JurisData n° 2000-061571 ; Lebon ; JCP G 2001, II, 10531, note R. Salomon).

Il avait ensuite réaffirmé cette position concernant des sanctions prononcées par l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) (CE, 25 oct. 2017, n° 399491 et 399493, Union des mutuelles d'assurance Monceau (UMAM) et société Mutuelle centrale de réassurance (MCR) : JurisData n° 2017-020991 ; Lebon T.) puis au sujet de pénalités fiscales (CE, 4 déc. 2009, n° 329173, Sté Rueil Sports : JurisData n° 2009-081570 ; Lebon).

Ces types de sanctions étaient donc également considérés comme transmissibles dans le cadre d'une fusion absorption.

Toutefois le Conseil d'État avait à l'occasion de la décision de 2000 Crédit agricole précitée, pris soin d'ajouter que « le principe de la personnalité des peines faisait obstacle à ce que le Conseil des marchés financiers infligeât à la société absorbante un blâme à raison des manquements commis avant la fusion par la société absorbée ».

En conséquence, le juge administratif proposait une lecture binaire dans laquelle si les dettes et les sanctions pécuniaires pouvaient être reprises dans le cadre d'une absorption, le blâme, préjudice réputationnel plus personnel, lui, ne se transmettait pas.

Cette « intransmissibilité du blâme », avait à l'époque été critiquée par la doctrine au motif que « le blâme, simple condamnation morale, serait, en quelque sorte, une sanction platonique dont le prononcé ne présenterait plus aucun sens postérieurement à la disparition de l'auteur des faits » alors même qu'il y a « fort à parier que la société absorbante redoute autant le risque de se voir infliger un blâme du fait des agissements de la société absorbée, ce qui atteint sa crédibilité sur la place, que le risque de supporter une amende financière, fût-elle élevée » (M. Guyomar et P. Collin, Conditions d'application du principe de la personnalité des peines aux sanctions prononcées par le Conseil des marchés financiers : AJDA 2000, p. 997).

Cette interprétation limitée de la reprise des sanctions passées, reposait en grande partie sur la position restrictive de la Cour de cassation. Ainsi le rapporteur public M. Nicolas Agnoux sur la décision ici commentée souligne : « il nous semble que le choix fait en 2000 de réserver le cas particulier du blâme visait alors à circonscrire autant que possible la divergence que la section du contentieux venait introduire avec la jurisprudence de la chambre criminelle ».

La haute juridiction pénale ayant désormais évolué, ainsi que cela a été évoqué, le Conseil d'État pouvait poursuivre le chemin de la transmissibilité.

Cette évolution a été également encouragée par la position du Conseil constitutionnel qui en dépit de la consécration du principe de responsabilité personnelle, comme principe de valeur constitutionnelle (Cons. const., 16 juin 1999, n° 99-411 DC, cons. 7 : JurisData n° 1999-765189) avait ouvert plus grand la porte en reconnaissant dans sa décision QPC du 18 mai 2016, qu'« appliqué en dehors du droit pénal, le principe selon lequel nul n'est punissable que de son propre fait peut faire l'objet d'adaptations, dès lors que celles-ci sont justifiées par la nature de la sanction et par l'objet qu'elle poursuit et qu'elles sont proportionnées à cet objet » (Cons. const., 18 mai 2016 QPC, n° 2016-542 : JurisData n° 2016-009284).

Enfin, c'est l'importance des aspects réputationnels sur la vie économique qui a été prise en considération par le juge administratif pour faire évoluer sa jurisprudence. La réputation est en effet une valeur immatérielle qui est devenue cardinale notamment dans le cadre de dispositif de compliance ou d'évaluation de ses cocontractants. Ainsi à l'instar de Warren Buffett, qui considérait qu'« il faut 20 ans pour construire une réputation et 5 minutes pour la détruire », le rapporteur public souligne que « la menace d'un blâme pesant sur une société avant son absorption est susceptible d'affecter négativement la valeur de son actif (immatériel), au même titre qu'une amende potentielle affecte son passif ».

Le Conseil d'État a déjà reconnu le caractère préjudiciable de certaines sanctions, mises en demeure publiques ou autres actes de regulatory shaming (S. Yadin, Regulatory shaming, vol. 49 : Environmental Law, 2019, p. 407-451) en leur ouvrant la voie du recours pour excès de pouvoir. Il est par exemple désormais admis que les actes administratifs, même non décisoires, « peuvent être déférés au juge de l'excès de pouvoir lorsqu'ils sont susceptibles d'avoir des effets notables sur les droits ou la situation d'autres personnes que les agents chargés, le cas échéant, de les mettre en œuvre » (CE, 12 juin 2020, n° 418142, Gisti : JurisData n° 2020-007983). Le juge administratif admet désormais que les effets d'un acte peuvent être simplement réputationnels.

Compte tenu de tous ces éléments et suivant le mouvement jurisprudentiel initié au niveau européen et relayé par la Cour de cassation, le Conseil d'État considère donc désormais et sans exclusive que « le principe de la personnalité des peines ne fait pas, par lui-même, obstacle à ce qu'une sanction disciplinaire, justifiée par les manquements commis par une société ayant par la suite fait l'objet d'une absorption ou d'une fusion, soit prononcée à l'encontre de la société absorbante ou issue de la fusion ».

Bien entendu, il appartient ensuite à l'autorité disciplinaire, ici le Conseil national de l'ordre des experts-comptables, d'appliquer le principe de proportionnalité des délits et des peines notamment en tenant compte de l'opération capitalistique réalisée.

Un pas nouveau est donc franchi par le Conseil d'État, avec l'élargissement de la transmission des peines autres que pécuniaires à la société absorbante. Pas que la chambre criminelle n'a pas encore franchi, se limitant, sauf en cas de fraude à la loi, à la transmission des peines pécuniaires à la société absorbante.

Deux questions se posent donc : la distinction entre les peines purement pécuniaires (amendes et confiscations) et les autres peines considérées comme « personnelles » mais ayant nécessairement des conséquences financières et économiques (ex. : dissolution, affichage de la décision, etc.), est-elle pertinente pour fonder la transmission des seules peines pécuniaires à la société absorbante ? De façon générale, jusqu'à quel point le principe de la responsabilité pénale personnelle doit-il être aménagé pour tenir compte des particularités de la responsabilité des personnes morales ?

Le mouvement d'accroissement de la reprise des sanctions dans le cadre d'une opération de fusion-absorption semble mettre fin, comme le souligne le rapporteur public à « l'approche anthropomorphique » des personnes morales en ne leur appliquant que de manière de plus en plus limitée le principe de personnalité des délits et des peines.

Cette tendance invite à la plus grande prudence. En effet dans ce contexte, toute opération d'absorption d'une société expose le repreneur à des sanctions non négligeables qui peuvent ne pas être connues lors de l'acquisition. La vigilance lors des obligations de due diligence doit en conséquence être particulièrement renforcée.

Mots clés : Responsabilité pénale. - Personnes morales. - Fusion-absorption. - Transmission de toutes les sanctions de la société absorbée vers la société absorbante.

Mots clés : Sociétés (en général). - Fusion-absorption. - Responsabilité pénale des personnes morales. - Transmission de toutes les sanctions de la société absorbée vers la société absorbante.

icon_paragraph_marker.gif Textes :  C. pén., art. 121-1 et 121-2

icon_paragraph_marker.gif Encyclopédies :  Pénal Code, Art. 121-1, fasc. 20, par Jacques-Henri Robert ; Pénal Code, Art. 121-2, fasc. 20, par Jean-Yves Maréchal

icon_paragraph_marker.gif Autres publications LexisNexis :  Fiche pratique n° 761 : Comprendre la responsabilité pénale des personnes morales : principes généraux, par Rémi Lorrain ; Fiche pratique n° 768 : Responsabilité pénale des personnes morales : peines encourues, par Rémi Lorrain et Christophe Ingrain ; Pénal Code, Synthèse 30, par Valérie Malabat

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