L’AFA a publié un guide sur les règles applicables en matière de cadeaux et d’invitation pour les agents publics. Compte tenu des risques pénaux, disciplinaires et même administratifs liés à l’acceptation d’un cadeau en contrepartie d’un comportement de l’Administration, l’AFA préconise le refus de principe. Cette recommandation qui manque de nuance, et peut être de réalisme, peut être amendée dans le cadre de politique cadeaux adaptée à chaque entité.
Le 15 septembre 2022, l’agence française anticorruption (AFA) a publié un guide pratique sur les cadeaux et invitations à destination des agents publics (www.agence-francaise-anticorruption.gouv.fr/files/files/GuideCadeauxInvitationsAgentspublics_AFA_Web.pdf).
Le titre du guide : « Agents publics : les risques d'atteintes à la probité concernant les cadeaux et invitations » donne immédiatement le ton. Cadeaux et invitations présentent des risques importants en matière d’éthique et de probité.
Le message qui en découle est alors clair : les agents publics doivent, presque systématiquement, refuser les cadeaux et invitations qui leur sont proposés.
« Par principe, un agent public n’a pas à accepter de cadeau ou d’invitation dans l’exercice de ses missions ». Telle est la tonalité des 74 pages du guide « pratique » qui finalement ne laisse guère de place ni à l’interprétation ni à l’appréciation des différences de situation.
Cette doctrine repose sur l’idée selon laquelle l’acceptation d’un cadeau ou d’une invitation comporte intrinsèquement un risque d’atteinte aux principes déontologiques de dignité, d’impartialité, d’intégrité, de probité et de neutralité qui gouvernent l’exercice des fonctions des agents publics (CGFP, art. L. 121-1 et L. 121-2, al. 1).
L’agence reprend sans doute à son compte l’idée décrite par Marcel Mauss selon laquelle un don entraîne nécessairement un contre don. Le sociologue s’interrogeait en effet, dans son essai sur le potlatch dans les sociétés archaïques : « Quelle force y a-t-il dans la chose qu'on donne qui fait que le donataire la rend ? » (M. Mauss, Essai sur le don. Forme et raison de l'échange dans les sociétés archaïques).
L’AFA considère dans la même veine qu’« en le plaçant en situation d’obligé vis-à-vis des tiers […] il peut être suspecté qu’un cadeau ou une invitation rétribue un service rendu, incite l’agent à une certaine bienveillance, ou encore alimente une familiarité à l’égard d’un interlocuteur qui serait ainsi dans une situation privilégiée ».
À l’inverse pourtant, en 2020, dans le cadre de la politique cadeaux et invitations préconisée pour les autres entités (Entreprises, EPIC, associations et fondations) l’AFA reconnaissait que les cadeaux font partie de la vie des affaires (F. Jourdan, Lutte contre la corruption – Plaisir d'offrir… en toute conformité : Rev. int. Compliance 2020, comm. 238, n° 6).
« En offrant, c’est-à-dire en fournissant un bien ou une prestation sans recherche d’une contrepartie, une organisation peut manifester son attachement à certaines valeurs ou traditions. Elle peut également inscrire l’offre de cadeaux et d’invitations dans sa stratégie de promotion commerciale. De tels cadeaux et invitations participent donc de la vie normale des affaires » (www.agence-francaise-anticorruption.gouv.fr/files/2020-09/Guide% 20pratique% 20politique% 20cadeaux% 20et% 20invitations_0.pdf).
Pour rappel, cette formulation, qui banalise ce procédé, a été le fruit d’un long combat, après un premier projet qui avait suscité de vives réactions. Les entreprises, notamment de l’évènementiel avaient alors fortement milité pour faire admettre à l’autorité de régulation que tout cadeau ou toute invitation ne signifie pas nécessairement corruption.
On comprend donc, en confrontant ces deux guides que, selon l’AFA, les pouvoir publics sont exclus de la vie des affaires. Cette vision peut être critiquée… voire dangereuse pour les agents publics qui sont, qu’on le veuille ou non, forcément parties prenantes de la vie économique.
Ce guide qui condamne sans nuance les agents publics à l’austérité et va-t-il trop loin dans le principe de l’interdiction ?
Ainsi que le souligne l’AFA, pour les personnes publiques, comme pour les personnes privées, se doter d’une politique cadeaux et invitations ne relève pas d’une obligation directe de la loi Sapin 2 (aux termes de L. n° 2016-1691, 9 déc. 2016, art. 17, relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie publique, dite « loi Sapin II », les entités assujetties doivent élaborer « Un code de conduite définissant et illustrant les différents types de comportements à proscrire comme étant susceptibles de caractériser des faits de corruption ou de trafic d'influence »). En revanche, cela est très fortement préconisé par l’AFA dans le cadre de ses recommandations (Fl. Jourdan et Y. Benrahou, La mise à jour du logiciel de l'Agence française anticorruption : une aubaine pour les collectivités : JCP A 2021, 2079, n° 10-11).
Ce sont en effet des questions récurrentes et qui laissent parfois les agents publics démunis quant au comportement à adopter (Fl. Jourdan, Cadeaux dans les collectivités : quel comportement adopter ? : JCP A 2018, 2344, n° 51-52). Quels sont les cadeaux à refuser ? Est-il possible d’accepter une invitation à déjeuner ? Quand doit-on alerter sa hiérarchie ?
Conseil pratique :
Il est donc sain d’envisager que chaque collectivité ou que chaque entité publique puisse déployer sa propre doctrine sur le sujet, conformément aux grandes règles de déontologie applicables aux fonctionnaires, afin notamment de guider ses agents dans la prise de décision individuelle.
Toutefois, si les autres guides de l’AFA décrivent une méthodologie pour élaborer des règles qui doivent ensuite nécessairement être reprises et adaptées par chaque entité en fonction de leurs propres spécificités, le guide ici commenté s’en distingue en formulant des prescriptions plus nettes. Il n’est pas vraiment question ici de laisser une autonomie aux acteurs publics dans l’élaboration de leurs dispositifs de maîtrises des risques.
En effet, même si l’AFA invite à élaborer des règles adaptées en fonction de l’exercice préalable de cartographie des risques, la recommandation de l’AFA est dépourvue d’ambiguïté. Pour les agents publics en matière de cadeaux et d’invitation « les principes déontologiques clés à connaître » sont les suivants : « refuser par principe, accepter quand on ne peut faire autrement et toujours informer sa hiérarchie ».
Néanmoins et après avoir érigé en dogme ce principe de refus, le guide essaye de tempérer cette position sans nuance. L’AFA propose alors une série de questions qui pourraient aider les agents publics à déterminer la conduite à tenir face à de telles propositions. Certainement pour les aider à motiver un refus.
Les questions que les agents publics sont invités à se poser sont les suivantes :
• qui offre ou propose un cadeau ou une invitation ? ;
• quelles sont les fonctions et missions du récipiendaire ou de l’invité potentiel ? ;
• quelles sont les caractéristiques du cadeau, ou de l’invitation en termes de moment, de nature, de valeur ou de fréquence ? ;
• existe-t-il pour l’agent public un risque de créer une situation de redevabilité à l’égard du tiers, notamment du fait du caractère personnalisé du cadeau ou de l’invitation ? ;
• l’agent public concerné par cette proposition se sent-il à l’aise à l’idée d’en parler autour de lui ?
La suite de l’analyse démontre que la réponse à ces questions ne peut avoir en réalité pour effet que de renforcer le principe de l’interdiction.
Concernant le récipiendaire par exemple, le guide rappelle qu’il s’applique à tout acteur public. C’est-à-dire aux agents des administrations de l’État, des collectivités territoriales, des établissements publics administratifs, des groupements d’intérêt public assurant à titre principal une mission de service public administratif, des établissements publics de santé et des établissements médico-sociaux.
Il convient de souligner que les élus ne sont pas concernés par ce document.
Au sein de ces fonctionnaires et agents contractuels, certains sont listés comme étant encore plus à risque que les autres et ne sauraient, en conséquence, jamais accepter quelconque présent.
Les agents identifiés comme étant les plus à risque qui ne peuvent par principe pas recevoir de cadeaux sont les suivants :
• les fonctionnaires impliqués dans le cycle de l’achat public ;
• ceux qui participent à attribuer des aides et subventions, dont les fonds européens ;
• ceux qui prennent part à la prise d’une décision administrative individuelle ou à délivrance des titres, autorisations ou agréments ;
• ceux gérant des files d’attente (attribution de logements sociaux, de places en crèches, etc.) ;
• ceux exerçant des fonctions d’inspection et de contrôle ;
• les agents exerçant des fonctions de tutelle sur les opérateurs ;
• les fonctionnaires en contact avec les usagers du service public ;
• les agents exerçant des fonctions impliquant une proximité avec le secteur privé ;
• ceux assurant fonctions de gestion administrative des ressources humaines et paie : recrutement, rémunération et avantages accessoires ;
• ceux investis de fonctions impliquant le maniement de fonds publics (régies not.) ;
• les agents en charge de la gestion des biens mobiliers de l’État (gestion des stocks, comptabilité matière…) ;
• les magistrats ;
• les gendarmes et policiers.
Cette liste (pp. 29 et 30 du guide) recense finalement presqu’exhaustivement tous les fonctionnaires… On peine à trouver quel agent public ne serait pas visé par au moins une de ces catégories et qui en plus de l’interdiction de principe, ne serait pas empêché du fait de sa fonction d’accepter tout cadeau ou invitation.
Mais d’autres interdictions additionnelles sont encore recommandées.
Les interdictions reposant sur un critère professionnel, de période ou de destinataires. Il est ainsi préconisé d’interdire au surplus tout cadeau ou invitation pendant le déroulement d’une procédure sensible ou encore tout cadeau ou invitation pour le conjoint ou destiné aux proches d’un agent.
Il convient encore d’ajouter que ce principe général d’interdiction, parfois renforcé, ne trouve pas de tempérament aux yeux du régulateur.
Ainsi, le partage des cadeaux ne saurait par exemple pas constituer un facteur atténuant.
Attention :
Noël approche, et qu’on se le tienne pour dit, le partage de la boîte de chocolats offerte par un prestataire ne sera pas toléré par l’AFA.
En effet, à cet égard le guide précise que l’utilisation ou la consommation en équipe des cadeaux partageables ne peuvent qu’être exceptionnellement tolérées. Il est souligné que la jurisprudence considère leur acceptation n’exonère pas leur bénéficiaire initial de toute responsabilité disciplinaire ou pénale (L’AFA cite le précédent d’un pourboire au sens large versé par une entreprise qui a mis en place un système de cadeau de service réparti entre plusieurs agents [CE, 11 avr. 2001, n° 211950, Centre hospitalier universitaire de Bordeaux c/ M. Roumegoux]).
Aussi, l’AFA déconseille-t-elle vivement la pratique consistant à partager un cadeau reçu : « en effet, le bénéficiaire ne doit pas se donner “bonne conscience” avant ou après la réception du présent en le plaçant en commun ou en le partageant. Cette pratique n’est donc pas conseillée. Le caractère individuel ou collectif du cadeau est pareillement sanctionnable en cas de comportement fautif. » (pp. 37 et 38 du guide).
Pour les invitations à des repas et autres invitations à des évènements là encore l’analyse de l’AFA est claire et sans nuance, elles doivent être interdites et refusées sauf dans le cas de missions de représentation, pour les repas organisés en marge d’une réunion mais elles doivent être idéalement encadrées et traçable dans le cadre d’une lettre de mission.
Ainsi que cela a été annoncé plus haut, si le principe est le refus, l’AFA, admet qu’un agent peut parfois accepter un cadeau ou une invitation. Toutefois, il ne doit y céder que lorsqu’il « ne peut faire autrement et toujours informer sa hiérarchie ».
La fixation de seuils de valeur monétaire des cadeaux qui rendrait les cadeaux d’un faible montant acceptable n’est pas recommandée par l’AFA.
Pourtant, le rapport de 2011 de la commission de réflexion pour la prévention des conflits d’intérêts dans la vie publique proposait d’inscrire dans la loi « une règle interdisant les cadeaux, libéralités et invitations aux acteurs publics, à l’exception de l’hospitalité conventionnelle et des cadeaux mineurs, d’une valeur inférieure à un seuil fixé par décret, qui pourrait être fixé à 150 € ». En revanche, dans la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique, le législateur n’a finalement retenu aucune règle ni de prohibition générale des cadeaux ou invitations ni seuil tolérable.
Après avoir rappelé que la loi ne fixe pas de seuil pour les cadeaux et invitations et que de tels seuils peuvent être jugés légitimement utile par un acteur public pour donner un repère financier à ses collaborateurs, l’AFA alerte immédiatement sur l’écueil consistant à laisser penser qu’en deçà d’un certain montant, le principe du refus serait systématiquement levé. Il ne faut absolument pas laisser entendre « qu’un cadeau serait acceptable en toute circonstance en fonction de son montant, ce qui ne peut être le cas par exemple en phase de passation d’un marché ou pour les métiers précités » (p. 32).
L’AFA reconnaît cependant que de nombreux acteurs publics considèrent qu’il est tout de même important de fixer un ou plusieurs seuils en euros, d’une part parce qu’ils permettent une bonne compréhension pour les agents des risques et d’autre part, parce qu’ils sont bien compris de tiers. Certaines collectivités ou certains acteurs publics fixent aussi des seuils en cas de cumul de cadeaux ou invitations pour un même agent et en provenance de la même source.
Alors même qu’il existe d’ores et déjà une forte diversité d’avis et de pratiques sur la question des seuils, l’AFA insiste sur le fait que s’ils sont fixés, ils doivent être pertinents pour la structure publique considérée, c’est-à-dire adaptés au contexte. Dans tous les cas, un acteur public décidant de recourir à un seuil devra veiller à limiter autant que possible les ambiguïtés, en précisant la manière dont il doit être compris et utilisé (éventuel cumul de seuils, pluralité de cadeaux ou invitations en deçà des seuils émanant du même auteur sur une période donnée, exclusion dans certaines circonstances, etc.).
Les cadeaux et invitations protocolaires ou institutionnels sont finalement les seuls cadeaux qui peuvent, selon l’agence, être acceptés par des agents publics.
L’AFA consacre une annexe de ses développements (Ann. 5, pp. 61 et s.) à cette catégorie de cadeaux qui, si elle ne fait pas partie de la vie des affaires, fait sans conteste partie intégrante de la vie institutionnelle.
Mais là encore, le protocole ne doit pas permettre de justifier tout cadeau. Il existe des règles de seuils en fonction des administrations (diplomatie, armées, justice). Les règles applicables dans les collectivités étant, pour l’instant encore, balbutiantes (A. Granero, Les cadeaux et invitations offerts aux élus locaux et agents territoriaux : un encadrement encore balbutiant : JCP A 2022, n°18).
Ainsi que cela vient d’être évoqué, les invitations dans le cadre de missions de représentation ou pour les repas organisés en marge d’une réunion peuvent aussi être acceptées. Dans ce cas, les invitations doivent avoir été prévues dans une lettre de mission visée par la hiérarchie.
Les dons peuvent également parfois relever de la catégorie des cadeaux admis.
Un cadeau peut ainsi être « accepté exceptionnellement pour une remise à des œuvres sociales au sein de l’administration [fondations, associations n’intervenant pas sur un marché concurrentiel, orphelinats…] ou en dehors de l’administration, lorsque ces œuvres sont prêtes à accepter des biens conformément à leur objet social ».
Enfin, la mise en place d’un registre de déclaration des cadeaux ou invitations, dont l’éventuelle mise en place ne doit pas être excessivement coûteuse ou complexe et qui doit respecter les règles de confidentialité n’est pas nécessairement recommandée par l’AFA. En revanche, l’agence propose aux collectivités de solliciter de la part des leurs agents des déclarations sur l’honneur annuelles de non-acceptation de cadeaux ou d’invitations.
Surtout, au titre des conseils pratiques, l’AFA propose de rédiger un « retour à l’expéditeur », soit un texte de refus formalisé « de façon courtoise mais ferme, en rappelant les principes déontologiques applicables ».
Pour asseoir ce principe d’interdiction généralisée, l’AFA ne manque pas de rappeler quels sont les risques auxquels s’exposent les agents publics qui accepteraient indûment un cadeau ou une invitation.
Ce risque est d’abord décrit comme double : à la fois pénal et disciplinaire.
Sur le plan pénal, il convient de rappeler brièvement que l’acceptation d’un cadeau peut être constitutive du délit de corruption (active ou passive), de trafic d’influence, de concussion, ou de favoritisme.
Le guide fournit des scénarios de risques tirés de précédents jurisprudentiels ou d’hypothèses spécialement inventées pour l’occasion illustrant ces qualifications pénales.
Sur le plan disciplinaire, l’AFA donne des exemples de jurisprudences concernant les cas les plus graves et confirmant des décisions révocations d’agents publics ou de mise à la retraite d’office pour voir accepté des cadeaux ou des invitations.
Enfin l’agence souligne qu’il existe, en plus de ces deux risques, un risque d’annulation, en droit administratif des procédures dans lesquelles par exemple, le principe d’impartialité ne serait pas respecté, en contrepartie de l’acceptation d’un cadeau ou d’une invitation.
L’AFA invite enfin les employeurs publics à faire respecter eux-mêmes leur politique « anti-cadeaux ».
Le risque qui pèse sur les agents publics est encore accru par ce guide qui pourra en l’absence de politique spécifique, et plus souple, de la collectivité publique, tenir lieu de doctrine opposable à tous les agents publics qui doivent désormais ne plus ignorer qu’ils doivent, par principe refuser tout cadeau ou invitation.
Dans son élan d’encadrement, l’AFA va même jusqu’à déclarer qu’« une invitation émanant d’un tiers à l’acteur public et proposée à titre personnel [détachable des missions de l’agent] doit toujours être refusée ». Il ne reste qu’à espérer que cette affirmation n’entend pas s’appliquer à la vie amicale et familiale des agents publics qui se verraient désormais, et à tout jamais, privés des joies d’anniversaires ou de fêtes de fin d’année.