Le maire d'Agde, soupçonné d'avoir commis des faits de corruption (C. pén., art. 435-1 et s.), est actuellement en détention provisoire. Ce dernier affirme avoir été victime d'escroquerie de la part d'une voyante. Cadeaux en nature, offre d'emplois, multiples services : cette dernière a bénéficié de nombreux dons et avantages accordés eu égard à la fonction de l'élu local. Cette affaire soulève une question, à laquelle seuls les juges pourront répondre : l'élément moral de l'infraction peut-il être caractérisé pour retenir le délit de corruption, alors que le maire se déclare sous l'emprise d'une voyante, ayant commis des faits pouvant être caractérisés d'escroquerie ?
En matière de délits d'atteinte à la probité, les personnes mises en cause plaident souvent leur ignorance des règles. C'est la raison pour laquelle le législateur, dans le cadre de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite loi « Sapin 2 », a invité les personnes publiques, comme les entreprises, à se doter des codes de conduite fixant les règles à tenir pour éviter la survenance de tels actes.
Ici, l'originalité de l'affaire tient au fait que le maire d'Agde, aujourd'hui poursuivi pour détournement de fonds par une personne dépositaire de l'autorité publique (C. pén., art. 432-15), prise illégale d'intérêts (C. pén., art. 432-12) et corruption passive (C. pén., art. 435-1), ne se prétend pas ignorant mais manipulé. En effet, celui-ci aurait agi sous l'emprise d'une « voyante » ou « médium », également ventriloque, qui lui enjoignait d'enfreindre les règles par le truchement d'une voix. Prétendument celle du père décédé de l'édile.
Le maire de la commune a pourtant été mis en examen le 21 mars 2024 à la suite d'une enquête préliminaire menée fin 2023, tout comme la voyante, cette dernière pour des faits d'escroquerie (C. pén., art. 313-1 et s.), de recel de détournement de fonds par une personne dépositaire de l'autorité publique et de corruption. Ils sont tous deux actuellement en détention provisoire.
Si la voyante reconnaît la matérialité des faits, le maire affirme avoir été « piégé » et nie sa culpabilité.
Ce dernier aurait toutefois octroyé de nombreux avantages à la voyante : l'embauche de son mari et de plusieurs de ses proches au sein de la Mairie, la mise à disposition d'un chauffeur de la ville pour récupérer ses enfants à l'école ou encore l'obtention d'un château pour une cérémonie de mariage, le tout en utilisant les fonds publics. L'obtention de ces privilèges s'étale sur quatre ans.
Parallèlement, deux cadres de la société Eiffage ont été mis en examen pour abus de confiance (C. pén., art. 314-1 et s.) et faux et usage de faux (C. pén., art. 441-1 et s.). L'un est également poursuivi pour « corruption active » et le second pour « complicité de corruption ». Ces derniers auraient perçu une participation pour le financement occulte de travaux effectués au domicile de la voyante (construction d'une véranda), à la demande du maire. Deux dirigeants d'un hypermarché ont également été mis en cause pour des faits similaires relatifs à cette construction litigieuse. Le maire aurait, en échange, autorisé un permis de construire relatif à l'extension de l'hypermarché.
Si ces faits peuvent surprendre par leur originalité, ce n'est pas la première histoire du genre. En effet, la présidente de Corée du Sud de 2013 à 2017 a aussi subi les « sévices » d'un gourou aux pouvoirs « chamaniques », l'aidant dans sa prise de décision nationale. L'ancienne présidente affirmait recevoir des commandements d'un « ordre supérieur ». Condamnée une première fois à une peine de vingt ans de prison, elle a finalement été graciée quelques années plus tard (Le Monde, L'ex-présidente de Corée du Sud Park Geun-hye a été graciée, 24 déc. 2021).
Le maire d'Agde est actuellement mis en examen et bénéficie, dès lors, du principe de la présomption d'innocence. Néanmoins, de nombreuses questions persistent sur l'avenir de cette histoire, difficile à croire.
Tout d'abord, un manquement au devoir de probité commis par un élu local, qui plus est un maire en fonction depuis une vingtaine d'années, peut permettre aux élus, notamment de l'opposition, ainsi qu'aux habitants, d'instrumentaliser cette affaire comme levier politique.
À cet effet, une pétition en ligne a été lancée par des habitants de la commune pour demander la démission du maire. Le maire a finalement démissionné, de son plein gré, depuis la maison d'arrêt dans laquelle il est provisoirement détenu, démission qui a été acceptée par le préfet de l'Hérault le 31 mai 2024. Parallèlement, la ville d'Agde, avec l'accord de la majorité municipale, s'est portée partie civile, ce qu'elle peut faire sous certaines conditions. La jurisprudence a déjà accepté qu'une ville demande réparation de son préjudice moral résultant d'une infraction de corruption commise par le maire de ladite ville (Cass. crim., 8 févr. 2006, n° 05-80.488 : JurisData n° 2006-032537 ; Dr. pén. 2006, comm. 73, obs. M. Véron : à propos de la ville de Cannes, pour laquelle des dommages-intérêts lui ont été octroyés).
Selon l'article 435-1 du Code pénal, l'attitude supposée du maire est susceptible d'être qualifiée de corruption passive. En effet, c'est une personne investie d'un mandat électif public qui a théoriquement agréé, sans droit, directement, des offres, des dons et avantages quelconques pour autrui, en accomplissant un acte de sa fonction ou de son mandat.
L'intérêt matériel ne pose pas ici de problème majeur. Cependant, si le mobile est indifférent en matière pénale, la question de l'élément moral peut ici être soulevée.
En effet, la corruption est une infraction intentionnelle, ce qui signifie que l'auteur doit avoir la volonté et la conscience de participer au manquement du corrompu. Cette infraction requiert un dol général ainsi qu'un dol spécial.
La commission de ce délit suppose l'existence d'un « pacte de corruption », qui se matérialise par un accord de volonté entre le corrupteur et le corrompu. La corruption, infraction instantanée, est consommée dès la conclusion de l'accord.
L'agent public doit avoir conscience qu'il accepte d'être corrompu et qu'il porte atteinte à son devoir de probité. Le dol spécial consiste pour l'élu à avoir conscience du but poursuivi.
Dès lors, la question à laquelle devront répondre les juridictions, si cette affaire arrive jusqu'aux prétoires, est de savoir si l'intention du délit de corruption est constituée lorsqu'un agent public est lui-même corrompu par la voix surnaturelle d'une voyante.
Affirmer qu'une voix surnaturelle nous aurait corrompu peut-il permettre aux mis en examen de s'exonérer de leur responsabilité, et donc de tout manquement au devoir de probité ?
Actuellement, en tout état de cause, l'escroquerie ne figure pas, en tant que telle, dans les causes exonératoires de responsabilité prévues par le Code pénal.
De plus, la jurisprudence en matière de corruption admet que la preuve de l'élément moral se déduit de la réalisation de l'élément matériel.
Eu égard à sa qualité de maire d'Agde, et ce depuis 2001, on peut imaginer que l'élément moral peut se déduire en l'espèce, de la fonction, tel que la jurisprudence l'a déjà constaté.
À titre d'exemple, le maire de Grenoble, Alain Carignon, a été condamné pour corruption passive dans une affaire (Cass. crim., 27 oct. 1997, n° 96-83.698 : JurisData n° 1997-004190) impliquant le service des eaux de la ville, ayant défrayé la chronique dans les années 90.
Cependant, à la différence des faits d'espèce, ce dernier avait bénéficié de nombreux dons, cadeaux et avantages (tel qu'une croisière en Méditerranée). Le dol général était dès lors caractérisé par la cour d'appel, sans que la Cour de cassation ait besoin de le repréciser. En l'espèce, le maire d'Agde ne semble s'être octroyé aucun cadeau pour lui-même. Cela pourrait s'avérer être un élément de défense supplémentaire, démontrant que, malgré un élément matériel supposément présent, l'élément moral n'a pas suivi.
L'intention dans les délits de probité est souvent mise en avant par la défense, comme dernièrement, avec le délit de prise illégale d'intérêts. La Cour de Justice de la République a relaxé le ministre de la Justice, Éric Dupont-Moretti, alors même que l'élément matériel était caractérisé. En effet, « malgré une situation objective de conflit d'intérêts », rien n'établissait « la conscience suffisante qu'il pouvait avoir de s'exposer à la commission » de ces infractions, lesquelles ne sont donc pas constituées (CJR, 29 nov. 2023 : Dr. pén. 2023, comm. 3).
À l'inverse, dans l'affaire impliquant Bernard Laporte, ancien président de Fédération française de rugby (FFR) condamné pour corruption passive, le tribunal correctionnel de Paris lui a reproché son « complet mépris pour les principes d'éthique et de déontologie dont il devait être le garant ». Ce dernier ne pouvait arguer d'une non-connaissance du code de bonne conduite de la fédération qu'il dirigeait, pour s'exonérer des règles qu'il n'a pas respectées. L'élément intentionnel a dès lors été caractérisé. Bien que ces affaires soient fondamentalement différentes, on comprend le pouvoir que peut avoir l'intention, l'élément moral, sur la caractérisation des infractions d'atteintes à la probité.
Il est maintenant question de savoir, dans l'hypothèse où l'escroquerie était retenue à l'encontre de la « voyante », si cette emprise mentale permettra ou non de relaxer le maire des chefs de corruption passive.
Mots clés : Compliance. - Maire.
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