Le Collège de déontologie de la juridiction administrative vient de publier son rapport annuel d'activité, qui porte sur la période du 1er avril au 31 décembre 2022Le collège, qui a été mis en place au 1er avril 2012, notamment pour réagir à des « sinistres déontologiques » (C. Vigouroux, À propos de la charte de déontologie des membres de la juridiction administrative, AJDA 2012, p. 875) achevait sa 10e année d'existence. Le mandat des membres de la juridiction a pris fin début janvier et les rapports porteront désormais sur l'année civile. À l'occasion de la publication de ce rapport, il apparaît pertinent de revenir sur cette année déontologique et de la mettre en perspective des avis et recommandations formulés par le passé
Pour rappel, le collège de déontologie peut être saisi par les membres de la juridiction administrative, par certaines autorités hiérarchiques telles que le vice-président, les présidents de section et le secrétaire général du Conseil d'État ainsi que les chefs de juridictions pour rendre des avis sur la compatibilité d'une situation avec les obligations déontologiques des magistrats ou des membres de la juridiction administrative qui l'ont quittée « dès lors que leur situation ou leur activité serait susceptible de porter atteinte à la dignité de leurs anciennes fonctions ou d'affecter le fonctionnement et l'indépendance de la juridiction administrative » (Charte de déontologie de la juridiction administrative, Avant-propos).
Le collège peut également s'autosaisir lorsqu'il juge opportun de formuler des recommandations visant à compléter ou approfondir des éléments de la charte de déontologie de la juridiction administrative. En 2022, le collège a émis 2 recommandations et il a rendu 4 avis.
Des premières. – Pour la première fois, le Collège de déontologie s'est prononcé à la suite d'une saisine du vice-président du Conseil d'État à propos de sa propre situation. Didier-Roland Tabuteau a interrogé l'organe déontologique sur la possibilité de poursuivre, après sa nomination, ses activités d'enseignement à l'Institut d'études politiques de Paris et à l'université Paris Cité. Dans son avis n°2022/4, le Collège écarte les inquiétudes du vice-président en soulignant que « selon une longue tradition, des membres de la juridiction administrative exercent à titre accessoire des activités d'enseignement de type universitaire ». Cette pratique « est à tous égards d'intérêt général », elle « contribue au rayonnement de la juridiction » et ne pose donc « aucune difficulté d'ordre déontologique ». Le caractère exceptionnel de la saisine réside notamment dans le fait qu'il incombait au Collège de déontologie de vérifier les conditions de disponibilité du magistrat pour l'exercice de sa fonction juridictionnelle. En effet, le Collège s'en remet normalement à l'appréciation du chef de juridiction, seul à pouvoir disposer des éléments d'information pertinents. Les membres du Collège y ont donc procédé eux-mêmes en prenant le risque de jouer un rôle de gestion et de contrôle qu'il n'a en principe pas vocation à exercer. Ces circonstances impliquent que l'avis est précédé du texte de la demande, qui décrit de façon précise la charge de travail correspondant aux enseignements décrits. Ces différents éléments justifient la levée exceptionnelle de l'anonymat pour les avis rendus sur la situation personnelle du vice-président du Conseil d'État. Il convient de souligner que ces exceptions au principe d'anonymisation des avis sont justifiées, comme dans l'affaire susvisée, par la nécessité de préciser les fonctions du magistrat ou qu'elles sont tirées du fait que la presse ait déjà fait état de la situation (sur ce point, v. avis n°2017/4 et n°2018/1).
Le Collège s'est également prononcé sur une question nouvelle relative à la possibilité pour un magistrat, siégeant pour une association au sein du conseil d’administration d'un établissement public en partie composé de représentants de l'État, de prendre, en tant que représentant de l'association, des positions différentes de celles de l'État. Cette situation ne semble pas présenter de difficulté particulière si l'intéressé ne fait pas état de sa qualité de magistrat, et que les propos tenus au nom de l'association ne méconnaissent pas « la dignité et la délicatesse qui incombent à tout magistrat s'exprimant en public » (Avis n° 2022/5, 8 déc. 2022).
Enfin, à la suite de la mise en œuvre des nouvelles dispositions faisant intervenir le Collège de déontologie dans la procédure de retour en juridiction de magistrats ayant occupé certaines fonctions dans un département du ressort du tribunal administratif ou de la cour administrative d’appel où l'affectation est envisagée, une rencontre a été tenue avec les deux organisations professionnelles de magistrats dans l'optique de préciser la portée de ces dispositions afin d'éclairer au mieux les magistrats s'apprêtant à partir en mobilité sur les conditions de leur retour en juridiction.
Une activité encore modérée. – Les rapports ne font état que de 4 demandes d'avis sur l'année 2022, ce qui s'inscrit dans la continuité des rapports précédents. En effet, le Collège dont la compétence peut potentiellement s'étendre à « environ 1200 magistrats » (www.conseil-etat.fr), dont un certain nombre est confronté à des questions déontologiques, s'est prononcé au cours des 7 dernières années sur un peu moins de 6 avis par an en moyenne.
Ces chiffres suggèrent que les principes énoncés par la charte de déontologie et les avis émis par le Collège depuis 2012 « sont suffisamment connus pour que les thèmes qui y ont été ainsi abordés et précisés ne suscitent plus guère d'interrogations » (Collège de déontologie de la juridiction administrative, Rapp. 2020-2021, p. 1).
Cette affirmation peut surprendre dans la mesure où l'on observe un mouvement de densification normative et institutionnelle en matière de déontologie. Cela se traduit notamment par des obligations et principes déontologiques plus étoffés au sein de la fonction publique (O. Mamoudy, Les avis et recommandations du collège de déontologie de la juridiction administrative : RFDA 2015, p. 368), complétés par des normes réglementaires et sectorielles visant à adapter les grands principes aux différents métiers du secteur public.
Cette densification peut entraîner une complexification des obligations déontologiques voire supposer une véritable ingénierie déontologique. À titre d'exemple, lorsqu'un magistrat administratif souhaite exercer une activité privée lucrative en parallèle de ses fonctions juridictionnelles, il doit en premier lieu questionner la compatibilité de la situation envisagée avec les principes et exceptions inscrits à l'article 25 septies de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires. Il doit ensuite vérifier que ces éléments n'entrent pas en contradiction avec la charte de déontologie de la juridiction administrative ou avec les avis et recommandations rendus par le Collège de déontologie. Ces différentes normes peuvent être complétées ou concurrencées par les guides élaborés par des autorités telles que l'Agence française anticorruption (AFA) ou la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP).
En plus des normes, se sont aussi les institutions ou organes compétents qui se sont multipliés. En reprenant l'exemple du magistrat qui envisage un cumul d'activités, il convient de souligner que dans la plupart des hypothèses, il revient à son supérieur hiérarchique d'autoriser ce cumul. Ce dernier pourra saisir le Collège de déontologie de la juridiction administrative s'il doute de la compatibilité des activités envisagées avec ses obligations déontologiques. Toutefois, si la demande de cumul implique la création ou reprise d'une entreprise, et qu'elle est associée à une demande de temps partiel, il est alors nécessaire de recueillir l'avis de la HATVP. Par ailleurs, si le magistrat a exercé une des activités mentionnées à l'article 23 de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique dans les 3 années qui précèdent le projet de cumul, alors la HATVP doit également être saisie pour contrôler la compatibilité des missions envisagées avec les anciennes fonctions.
Le rôle limité des avis du Collège de déontologie. – Une explication du faible nombre d'avis réside évidemment d'abord dans le caractère facultatif de la saisine du Collège. Il apparaît même pertinent de se demander si le jugement d'opportunité préalable à la saisine du Collège ne conduit pas nécessairement à réduire son importance à peau de chagrin.
En effet, il peut être préférable de s'en tenir à un échange informel avec le Collège, « à la suite duquel il [peut paraître] inutile de formaliser une demande d'avis » (Collège de déontologie de la juridiction administrative, Rapp. 2019, p. 1). Il peut être encore davantage pertinent de discuter avec son autorité hiérarchique préalablement à toute requête formelle voir de recourir à un conseil externe avant de formuler sa demande.
En reprenant l'exemple du magistrat souhaitant cumuler ses fonctions avec une activité privée lucrative, il est certainement davantage opportun de détailler précisément les éléments relatifs à la création de son activité, tels que la forme juridique de sa société, le nombre d'heures consacrées à l'activité, le chiffre d'affaires, ou encore la clientèle envisagée, au sein de la demande formulée auprès de son autorité hiérarchique. En effet, cette précision peut lui permettre de coller à la stratégie juridique préalablement déterminée.
Cette hypothèse ne semble pas contredite par la quasi-jurisprudence du Collège, qui n'émet que très rarement des avis d'incompatibilité à exercer une activité lucrative privée. Ainsi, sur les 69 avis rendus par le Collège, seules 6 affaires dont plus de la moitié date des 3 premières années d'existence du collège, ont entraîné un avis d'incompatibilité (v. avis n° 2020/3, n° 2018/4, n° 2015/5, n° 2014-8, n° 2015/ et n° 2012/6).
Il apparaît pertinent de souligner que le Collège emploie, dans de nombreuses affaires, un registre confirmatif, permettant à la personne à l'origine de la demande de voir son raisonnement déontologique approuvé.
Ces chiffres participent d'ailleurs de la définition d'un « équilibre entre la garantie du bon fonctionnement du service public et la possibilité pour les agents de faire preuve d'une initiative entrepreneuriale ou de compléter leurs revenus » (Rép. min. n° 25451 : JOAN 7 avril 2020, p. 2649).
Le Collège vecteur d'unité et de transparence ? Compte tenu du fait que le Collège est un organe de conseil dont les avis sont facultatifs, il n'apparaît pertinent de le saisir que pour des questions présentant un caractère nouveau et complexe.
Le Collège de déontologie vise d'ailleurs à développer « une théorie juridique de la déontologie des magistrats administratifs » (Rapp. 2019-2022, p. 4), qui s'inscrit dans « un cadre traditionnel » des interactions de la magistrature administrative avec l'extérieure, que « l'explicitation contemporaine de principes déontologiques n'a eu ni pour objet ni pour effet de remettre en cause » (Collège de déontologie de la juridiction administrative, avis n° 2016/3).
Sa politique consiste à combiner fermeté dans l'explication des principes et « souci de ne pas déresponsabiliser les magistrats » (Collège de déontologie de la juridiction administrative, avis n° 2018/4).
Le Collège a rappelé à de nombreuses reprises qu'il ne souhaitait pas devenir un organe disciplinaire interne à la juridiction. De ce point de vue, sa fonction est assez similaire à celle du déontologue de l'article L. 124-2 du Code général de la fonction publique. Pour autant, la publication des avis et recommandations contenant des informations concernant la transmission des saisines et les modalités de l'instruction participent d'une plus grande transparence qui gagnerait sans doute à être développée au sein de la juridiction administrative et déclinée à d'autres corps et fonctions.