INFRACTIONS ÉCONOMIQUES
Trois ans après l'entrée en vigueur de la loi Sapin II l'agence française anticorruption dresse un diagnostic des dispositifs mis en place dans les entreprises. - La prise de conscience progresse nettement, même chez les PME et ETI non soumises aux obligations de la loi. - Pour autant, les systèmes qui sont mis en place sont rarement complets et manquent souvent de maturité.
L'Agence française anticorruption (« AFA ») a initié en février 2020 une enquête afin de mesurer le niveau de maturité des dispositifs anticorruption mis en place dans les entreprises. Cette campagne a été lancée par l'envoi d'un questionnaire anonyme, en ligne, et destiné à toutes les entreprises quels que soient leur chiffre d'affaires, leurs effectifs et leurs activités, qu'elles soient ou non soumises aux dispositions de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite loi Sapin II (L. n° 2016-1691, 9 déc. 2016 : JO 10 déc. 2016, texte n° 2 ; JCP E 2017, 1048, note M. Roussille ; JCP G 2017, act. 3, aperçu rapide J.-M. Brigant).
S'inscrivant dans les objectifs du « plan national pluriannuel de lutte contre la corruption », publié le 9 janvier 2020, l'enquête répond à l'objectif d'accompagnement des entreprises dans leur appropriation du référentiel anticorruption français et contribue également à une meilleure connaissance de la réalité des risques de corruption.
En effet, cette démarche a permis de collecter des données auprès de 2 000 entreprises et d'établir ainsi un état des lieux de la prévention de la corruption dans le secteur privé. L'AFA a livré le 21 septembre dernier les résultats de cette étude dans un rapport publié sur son site Internet.
On peut se réjouir de deux enseignements tirés de cette étude. D'une part, les entreprises affirment bien connaître les infractions de corruption et, d'autre part, 70 % des répondantes déclarent avoir mis en place un dispositif de prévention.
Ces dispositifs restent toutefois, et de l'aveu même des sondés, largement perfectibles, notamment en ce qui concerne les cartographies des risques, l'évaluation des tiers ou encore le positionnement du responsable de la fonction conformité.
Parmi les éléments saillants de cette étude, un large focus est consacré aux PME et ETI non-assujetties à l'article 17 de la loi Sapin II (pour rappel les entreprises de moins de 500 salariées et réalisant moins 100 millions d'euros de chiffre d'affaires), afin de mesurer leur niveau d'appropriation des dispositifs anticorruption.
Les résultats du diagnostic des entreprises complètent utilement ceux qu'avait apportés l'enquête lancée par l'AFA en novembre 2018 auprès des acteurs publics locaux (F. Jourdan, Compliance dans les collectivités : l'Agence française anticorruption pointe l'insuffisance des dispositifs mis en place : JCP A 2019, 2042). Ce rapport faisait apparaître, qu'à l'exception des plus grandes collectivités, peu avaient mis en place des dispositifs de prévention de la corruption. Il en ressortait également que la plupart des collectivités ne se conforment pas à leurs obligations légales.
1. Le panel et la méthodologie du questionnaire
L'AFA a adressé par l'intermédiaire des fédérations professionnelles à plusieurs milliers d'entreprises de toutes tailles et secteurs un questionnaire anonyme relatif aux dispositifs de lutte contre les atteintes à la probité mis en place au sein de leur entreprise.
Les entreprises ayant répondu sont réparties équitablement selon leur taille, la moitié correspondant à des ETI ou grandes entreprises assujetties à l'article 17 et l'autre moitié correspondant à des petites ETI ou PME non assujetties.
À l'instar de ce qui s'était passé pour les collectivités, l'enquête a été réalisée sur la base du volontariat et elle ne peut en conséquence prétendre à l'exhaustivité. Mais surtout, il s'agit d'une enquête anonyme.
Ainsi que cela a été souligné, 70 % des entreprises ont affirmé avoir mis en place un dispositif anticorruption. Conformément à ce qui vient d'être indiqué concernant l'assujettissement à la loi Sapin II, dans la majorité des cas cette démarche a été mise en place pour se conformer aux dispositions législatives et, dans la moitié des cas, à l'initiative des instances dirigeantes.
Certains secteurs économiques sont particulièrement bien représentés dans la population d'entreprises qui a répondu. Selon l'AFA, la représentativité des entreprises participantes lui permettra de partager avec certains secteurs spécifiques les informations les concernant.
2. Les principaux enseignements de l'étude
À titre préalable, il ressort que les répondants déclarent savoir ce que recouvrent les différentes infractions telles que la corruption ou le détournement de fonds, le favoritisme ou la prise illégale d'intérêts. La grande majorité des entreprises estime connaître l'ensemble des infractions de manquements à la probité, et notamment la différence entre la corruption active et la corruption passive. Assez classiquement c'est le délit de concussion qui est le plus méconnu. Pour rappel, il s'agit de la perception, par un dépositaire de l'autorité publique, d'une somme indue.
Une première question portait sur le point de savoir si les personnes avaient eu connaissance de cas d'atteintes à la probité dans leur entreprise durant les cinq dernières années. 22 % des entreprises soutiennent y avoir été confrontées. Ce chiffre très important atteste, s'il en était besoin, la nécessité de mettre en place des dispositifs de prévention et de maîtrise des risques en la matière.
Toutefois, à la suite de ces faits, seules 51 % d'entre elles ont engagé une procédure disciplinaire pour ces faits qui ont toutes abouti à une sanction disciplinaire. En revanche, seules 20 % d'entre elles ont accompagné la sanction disciplinaire d'une plainte pénale.
Si la majorité des entreprises est dotée d'un code de conduite ou d'une charte déontologique (85 %), l'étude révèle que peu sont dotées :
• d'un responsable conformité (48 %) ;
• d'une cartographie des risques (53 %) ;
• d'une procédure d'évaluation des tiers (39 %) ;
• d'actions de formation et de prévention (56 %) ;
• d'un dispositif d'alerte interne (61 %) ;
• ou de contrôle interne (56 %).
Source : AFA, Diagnostic national sur les dispositifs anticorruption dans les entreprises, sept. 2020
Enfin, fait notable, seules 45 % des entreprises ont un responsable de la conformité en mesure d'assurer le pilotage de ce dispositif lequel est piloté par une autre fonction, non exclusivement dédiée, dans 55 % des cas.