L'Agence Française anticorruption (AFA) et la direction des achats de l'État (DAE) ont publié fin juin un guide de l'achat public intitulé « maîtriser le risque de corruption dans le cycle de l'achat public ». - Ce guide, disponible en ligne, qui ne compte pas moins de 159 pages constitue un outil précieux pour les acheteurs publics soucieux de respecter les règles de probité fixées par la loi Sapin 2. - Cette boite à outil rassemble en un seul document les règles théoriques confrontées aux sujets pratiques que chaque acheteur public rencontre
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L'OCDE le souligne régulièrement : « les marchés publics constituent pour les pouvoirs publics un domaine d'activité économique fondamental particulièrement exposé aux malversations, à la fraude et à la corruption ». Il est certain que les marchés publics constituent le terreau privilégié de quasiment tous les risques de délits ou manquements au devoir de probité : corruption, délit d'octroi d'avantage injustifié, détournement de fonds publics, prise illégale d'intérêts.
Par conséquent, la mise en place d'une démarche anticorruption en amont est le meilleur moyen d'anticiper, de prévenir et de maitriser ce risque pénal.
Cela nécessite de mettre en œuvre des pratiques vertueuses et responsables, tant du côté des opérateurs économiques que du côté des acheteurs publics. Cela permet de renforcer la confiance des citoyens, des usagers du service public et de l'ensemble de la société dans la probité et l'exemplarité de l'administration et de ses dirigeants.
Outre, cet enjeu pénal et réputationnel, les marchés publics constituent un enjeu économique majeur. En 2018, les marchés publics représentaient en France un montant annuel de 101 milliards d'euros pour plus de 150 000 marchés.
Le guide le rappelle, en 2018, 390 personnes ont été poursuivies pour des infractions d'atteinte à la probité en France. Durant la même année, 286 personnes ont été condamnées pour des infractions d'atteinte à la probité dont 131 pour des faits de corruption, 52 pour détournement de fonds public, 38 pour prise illégale d'intérêts et 29 personnes pour des faits de favoritisme. Une étude montre par ailleurs que les acheteurs publics et privés sont particulièrement exposés. Ainsi, 16% des responsables achats et 25% des directeurs achats indiquent avoir fait l'objet d'une tentative de corruption au cours de leur carrière.
Les différentes étapes de l'achat public sont encadrées par les principes fondamentaux définis à l'article L. 3 du Code de la commande publique. Il s'agit de la liberté d'accès à la commande publique, de l'égalité de traitement
des candidats et de la transparence des procédures (CE, avis, 29 juill. 2002, n° 246921, Société MAJ Blanchisseries de Pantin : JurisData n° 2002-064109 ; Lebon 2002, p. 29).
Ainsi, la réglementation applicable à la commande publique contient en elle-même des règles de prévention des atteintes à la probité. Les manquements à ces règles sont susceptibles de constituer a minima l'infraction de favoritisme.
Mais cette réglementation issue du Code de la commande publique est complétée par d'autres règles qui permettent aussi de lutter contre la corruption dans la commande publique comme les droits et obligations des agents publics (obligations d'impartialité, intégrité et probité, règles relatives au cumul d'activités, protection des lanceurs d'alerte, dépôt déclarations d'intérêts et de situation patrimoniale pour certains acteurs...) les règles de la comptabilité publique ou encore les obligations de publication des données.
Mais surtout, la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique dite loi Sapin 2 impose aux personnes publiques et à certaines entreprises d'adopter des mesures de prévention et de détection des atteintes à la probité avec l'aide et sous le contrôle de l'Agence française anticorruption (AFA), créée par cette même loi.
Plus précisément, l'article 17 de la loi Sapin 2 définit un ensemble de huit mesures et procédures, « les huit piliers de la loi Sapin », basées sur une cartographie des risques, qui permettent aux acteurs d'acquérir l'assurance raisonnable que le risque d'atteintes à la probité est maîtrisé.
Même si, à la différence des entreprises, la loi ne précise aucun référentiel pour les acteurs publics, dans sa Charte des parties prenantes aux contrôles, l'AFA indique que par analogie avec ce que la loi prévoit pour les acteurs économiques, il est attendu des acteurs publics et des associations et fondations reconnues d'utilité publique qu'ils mettent en place un dispositif anticorruption comprenant les 8 mesures et procédures applicables aux acteurs économiques, en les adaptant à leurs spécificités.
L'une des premières missions de l'AFA a été de détailler le contenu de ces mesures préventives dans le cadre de recommandations, publiées au Journal officiel le 22 décembre 2017.
Toutefois dans son rapport de novembre 2018, l'AFA a montré, qu'à l'exception des plus grandes, peu de collectivités avaient mis en place des dispositifs de prévention de la corruption et que la plupart des collectivités ne se conformaient pas à leurs obligations légales en la matière (F. Jourdan, Compliance dans les collectivités : l'Agence française anticorruption pointe l'insuffisance des dispositifs mis en place », JCP A 2019, 2042).
Pourtant le guide rappelle que la commission de telles infractions au sein de ses services peut bouleverser durablement une administration publique. Les conséquences négatives mises en exergue dans le tableau suivant peuvent en effet être multiples :
Si le guide rappelle que la prévention de ces risques est en partie assurée par le respect des obligations légales auxquelles sont soumis les pouvoirs adjudicateurs, le document va plus loin, il se veut une véritable boite à outil pour mettre en place une politique d'achat vertueuse, respectueuse des règles et dirigée vers la lutte contre la corruption.
Pas à pas, le guide déroule en cinq chapitres les comportements à adopter et les actions à mener pour maîtriser le risque de corruption durant tout le processus d'achat.
1. Un préalable : bien organiser les achats
Ce premier chapitre est composé d'une unique fiche consacrée à l'organisation des achats de manière à assurer leur transparence.
En effet, selon les auteurs, bien connaître ses achats, leur nature, le type de procédures adoptées, la typologie de ses fournisseurs permet aux acheteurs d'identifier leurs points de progrès et leurs zones de risque.
Cela implique de programmer et publier de manière transparente et gratuite les projets d'achats sur plusieurs années, de communiquer largement sur les achats et assurer la transparence des données pour faciliter le contrôle externe. Le guide préconise également de définir clairement et précisément les règles applicables dans le cycle des achats et les procédures d'achat en commun et d'intégrer les acheteurs et prescripteurs au sein d'une « communauté de l'achat ».
2. Les fondements d'une démarche anticorruption
Il est rappelé qu'une telle démarche passe nécessairement par deux points essentiels que sont l'engagement des instances dirigeantes et l'établissement d'une cartographie des risques.
Il s'agit des deux pré requis fondamentaux de la réussite d'une telle démarche. Le guide aide à construire ces deux étapes et renvoie notamment à des conseils très pratiques pour cet exercice difficile que constitue la cartographie des risques (cf. infra).
4. Prévenir
Ce chapitre est décomposé autour de quatre des huit piliers de la loi Sapin que sont la mise en œuvre des obligations déontologiques, l'obligation d'adopter un code de conduite anticorruption, l'évaluation des tiers et le dispositif de formation.
La problématique de l'articulation entre l'évaluation des tiers et les règles de la commande publique qui ne permettent pas d'écarter si facilement un candidat avait suscité beaucoup de questions chez les acheteurs publics. Ce guide permet de faire le point sur ce qu'il est possible ou non de faire dans le cadre actuel.
Pour résumer, si seuls les motifs d'exclusion prévus par le code de la commande publique sont susceptibles de justifier le rejet d'une candidature ou la résiliation d'un contrat, il est possible de contrôler l'intégrité d'un tiers évalué comme risqué durant la vie du marché.
4. Détecter
Cette étape passe par le contrôle et l'audit internes. Ainsi, la vérification du service fait par le gestionnaire à travers l'examen matériel des prestations rendues ou des biens livrés, la vérification des pièces justificatives par le comptable public et la tenue régulière de l'inventaire physique et comptable permettent d'assurer un contrôle interne efficace.
Un focus particulier est mis sur le système d'alerte. Pour rappel, ce dernier est obligatoire pour les personnes morales de droit public ou de droit privé dont les effectifs sont supérieurs à 50 agents ou salariés, pour les administrations de l'État, les Autorités administratives indépendantes et pour les collectivités territoriales (dont les communes de plus de 10 000 habitants), les EPCI à fiscalité propre regroupant au moins une commune de plus de 10 000 habitants et les établissements publics locaux en relevant. (P. Villeneuve, Loi Sapin II, collectivités territoriales et lutte contre la corruption : le traitement des alertes éthiques : Dr. adm. 2017, prat. 1).
5. Tous ces éléments permettront de déployer un programme anticorruption, de l'évaluer et de l'actualiser
Finalement se retrouvent disséminés dans ces cinq chapitres, les huit piliers de la loi Sapin 2 en plus d'autres recommandations qui donnent à la démarche sa cohérence globale.
Très pédagogique et didactique, ce guide, qui s'inspire des bonnes pratiques du « legal design » (G. Brenas, L'intérêt du legal design pour les professionnels du droit, RPPI, 2019, 1) rappelle les règles par des renvois aux articles du CCP ou à d'autres textes, met en exergue les bonnes idées, des conseils pratiques ou des points « à retenir ».