Solution. – Le Conseil d'État a jugé que le Syndicat des eaux d'Île-de-France (SEDIF) n'était pas tenu d'exclure la société Veolia de la procédure de passation de délégation du service public de l'eau potable. En effet, cette dernière n'était pas responsable de la fuite d'informations relatives à l'offre de Suez et elle avait renoncé à en tirer profit. Dans la continuité de sa jurisprudence Transdev, le Conseil d'État a ainsi considéré que le SEDIF pouvait renoncer à la phase finale de recueil des offres pour remédier à la fuite des informations dans l'optique de veiller à l'égalité entre les candidats.
Impact. – L'exclusion prévue à l'article L. 3123-1 et suivants du Code de la commande publique est obligatoire dès lors que l'autorité concédante constate que les faits qui la justifient sont avérés. Cela semble mériter la mise en place d'une procédure de traitement des incidents mentionnés au titre des exclusions à l'appréciation de l'autorité concédante ou de l'acheteur public. Les entités adjudicatrices et pouvoirs adjudicateurs devraient trouver, dans les différentes procédures d'enquête interne qui voient le jour, une source d'inspiration pour organiser la traçabilité des vérifications effectuées après l'incident.
CE, 2 févr. 2024, n° 489820, Sté Suez Eau France : Lebon : JCP A 2024, act. 70
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5. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 3123-8 du code de la commande publique : " L'autorité concédante peut exclure de la procédure de passation d'un contrat de concession les personnes qui ont entrepris (...) d'obtenir des informations confidentielles susceptibles de leur donner un avantage indu lors de la procédure de passation du contrat de concession (...) ". Cette cause d'exclusion facultative est constituée lorsque l'autorité concédante identifie des éléments précis et circonstanciés indiquant que l'opérateur a effectué des démarches qu'il savait déloyales en vue d'obtenir des informations dont il connaissait le caractère confidentiel et qui étaient susceptibles de lui procurer un avantage indu dans le cadre de la procédure de passation. Aux termes de l'article 10 du règlement de consultation " phase offres " : " En application de l'article L. 3123-15 du code de la commande publique, lorsqu'un opérateur économique est au cours de la procédure de consultation, placé dans l'une des situations prévues aux articles L. 3123-1 à L. 3123-13 du code de la commande publique, il informe sans délai le SEDIF / Le SEDIF prend alors la décision d'exclusion de la procédure. (...) ".
6. Pour juger que la société Veolia ne pouvait être regardée comme ayant entrepris d'obtenir des informations confidentielles susceptibles de lui donner un avantage indu dans le cadre de la procédure de passation en litige, le juge des référés a relevé que des fichiers concernant l'offre de la société Suez Eau France et identifiables comme tels avaient été mis à la disposition de la société Veolia en raison d'un dysfonctionnement informatique majeur dû à une erreur de programmation de la plateforme utilisée par le pouvoir adjudicateur et que, si cette dernière société les avait téléchargés, en avait pris connaissance et les avait dupliqués et avait tardé plusieurs jours avant d'informer le pouvoir adjudicateur de cet incident, elle l'en avait averti avant la poursuite de la procédure de négociation et le dépôt de son offre finale, de sorte qu'elle devait être regardée comme ayant nécessairement renoncé à tirer parti de ces éléments dans le cadre de la procédure. En déduisant de ces faits, sur lesquels il a porté une appréciation souveraine exempte de dénaturation, que le SEDIF n'était pas tenu d'exclure la société Veolia de la procédure de passation en litige sur le fondement de l'article L. 3123-8 du code de la commande publique, le juge des référés n'a pas inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis ni commis d'erreur de droit.
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En publiant un avis de concession au bulletin officiel des annonces de marchés le 28 mai 2021, le SEDIF a lancé la procédure d'attribution du contrat de concession relatif à la délégation du service public de distribution des eaux potables d'Île-de-France. Ce contrat devra permettre, pour les 12 prochaines années, l'alimentation en eau potable d'environ 4 millions d'habitants et a été évalué par le SEDIF à la somme de 4,3 milliards d'euros.
Les deux candidats admis et rivaux habituels sur cette concession, Véolia et Suez Eau France (Suez), ont présenté une offre initiale puis, le 17 novembre 2022, une offre intermédiaire.
À la suite d'un dysfonctionnement informatique majeur dû à une erreur de programmation de la plateforme utilisée par le pouvoir adjudicateur, Véolia, le concessionnaire historique, a informé le SEDIF, après un délai d'une semaine, avoir eu accès à des données confidentielles concernant l'offre de Suez.
Après avoir procédé à une expertise informatique confirmant l'absence de responsabilité de Véolia dans l'obtention des informations, le SEDIF a averti Suez de la fuite des informations. Par une décision du 17 octobre 2023, le syndicat a décidé de suspendre les négociations et a estimé, après étude, que les conditions pour une reprise des négociations n'étaient pas remplies de sorte que le contrat devait être attribué au regard des offres intermédiaires et d'une mise au point avec les soumissionnaires.
Considérant que cette décision était illégale en ce que Véolia aurait dû, sur le fondement de l'article L. 3123-8 du Code de la commande publique (CCP), être exclue de la procédure et que celle-ci devait, conformément au règlement de la consultation, aller à son terme, Suez a demandé au juge du référé précontractuel d'annuler la procédure et d'enjoindre le SEDIF à reprendre les négociations. Après que le tribunal administratif eut rejeté sa requête (TA Paris, 29 nov. 2023, n° 2325466 et 29112023, Suez : JCP A 2024, 2055, comm. Y. Wels ; Contrats-Marchés publ. 2024, comm. 43, G. Eckert), Suez a donc saisi le Conseil d'État.
Sur le fond, Suez contestait, sous l'angle de l'erreur de droit, la non-exclusion de Véolia en application de l'article L. 3123-8 du Code de la commande publique qui énonce que l'autorité concédante « peut exclure » les personnes « qui ont entrepris d'influer indûment le processus décisionnel de l'autorité concédante ou d'obtenir des informations confidentielles susceptibles de leur donner un avantage indu lors de la procédure de passation ». Le demandeur soutenait également que le juge des référés a méconnu l'article 10 du règlement de consultation qui stipule, en reprenant l'article L. 3123-15 du CCP, que le candidat qui se retrouve dans une situation d'exclusion doit en informer « sans délai » le SEDIF. Enfin, Suez reproche à la décision de 1re instance d'avoir admis que le syndicat pouvait mettre un terme aux négociations en attribuant le contrat sur la base des offres intermédiaires.
Le Conseil d'État a d'abord rappelé que le SEDIF est un pouvoir adjudicateur lorsqu'il confie à un tiers l'exploitation du réseau d'eau dont il a la charge. Le moyen tiré de l'erreur de qualification, par le juge des référés de première instance, du SEDIF d'entité adjudicatrice était, en l'espèce, inopérant (CE, 22 avr. 2005, n° 257877, Cne Barcarès : JCP A 2005, act. 174 ; Constr.-Urb. 2005, comm. 147, P. Benoît Cattin ; Procédures 2005, comm. 170). Surtout, l'arrêt retient que Véolia avait averti le SEDIF de la fuite de données avant le dépôt de son offre finale de sorte qu'elle devait être regardée comme ayant nécessairement renoncé à tirer parti de ces éléments et ne pouvait donc être exclue de la procédure (1). En dernier lieu, la décision commentée revient sur la qualification d'« étape essentielle » de la phase de remise des offres impliquant qu'elle ne puisse normalement être remise en cause. Cependant, le Conseil d'État rappelle que le délégataire peut légalement, dans les circonstances très particulières de l'espèce et en l'absence de manœuvre de Véolia, renoncer à cette étape en ce que cela constitue une mesure de remédiation à la transmission des informations visant à respecter les principes de la commande publique, en particulier l'égalité entre les candidats (CE, 8 nov. 2017, n° 412859, Transdev : JCP A 2017, act. 531 ; JCP A 2017, 2318, comm. J. Martin ; Contrats-Marchés publ. 2018, comm. 14, M. Ubaud-Bergeron) (2).
Une exclusion facultative à laquelle l'autorité concédante n'est pas tenue. Il convient de s'attarder sur ce qui peut sembler, à première vue, être un truisme consistant à affirmer qu'un motif d'exclusion dit « facultatif » n'est pas obligatoire. Pourtant, étudier la légalité de la non-exclusion d'un candidat reposant sur le motif, dit « facultatif », énoncé à l'article L. 3123-15 du CCP, implique de reconnaître le caractère obligatoire de cette exclusion lorsqu'elle est avérée.
Dans ses conclusions sur l'arrêt commenté, le rapporteur public Nicolas Labrune invite à ne pas s'en tenir à cette première affirmation en dépassant une « réponse simpliste » puisque « le respect des principes fondamentaux de la commande publique, lui, est obligatoire, de sorte qu'une exclusion, quoique dite facultative, peut à l'occasion se révéler indispensable à la régularité d'une procédure de passation ». La direction des affaires juridiques du ministère de l'Économie explique ainsi que « si l'exclusion est justifiée, l'acheteur n'a pas le choix : il doit exclure l'opérateur économique concerné » (DAJ Bercy, Fiche « L'examen des candidatures », § 3.2.8, p. 23).
En réalité, sont considérées comme facultatives les exclusions qui ne sont pas constatées par un tiers (H. Hoepffner, Droit des contrats administratifs : D. 2022, p. 414). Dans le cadre de ce constat, l'autorité concédante dispose d'une marge d'appréciation visant à déterminer si les faits justifiant l'exclusion sont avérés. De ce point de vue, il apparaît plus clair de retenir la terminologie consacrée par le Code de la commande publique qui distingue, pour les concessions, des exclusions à l'appréciation de l'autorité concédante (art. L. 3123-7 à L. 3123-11) et des exclusions de plein droit (art. L. 3123-1 à L. 3123-6-1). En revenant sur les circonstances de l'obtention des informations confidentielles, le Conseil d'État souligne que le SEDIF n'était pas tenu d'exclure Véolia au titre du motif « facultatif » énoncé à l'article L. 3123-8 du CCP (CE, 2 févr. 2024, n° 489820, Sté Suez Eau France, cons. 5 et 6).
Une exclusion illégale sans entreprise : l'appréciation de l'élément moral par l'autorité concédante. L'article L. 3123-8 du CCP énonce la possibilité d'exclure les personnes qui ont « entrepris d'obtenir des informations confidentielles susceptibles de leur donner un avantage indu lors de la procédure de passation du contrat de concession » [nous surlignons]. Le rapporteur public Nicolas Labrune souligne, dans ses conclusions relatives à la décision commentée, que « le verbe “entreprendre” suppose, de la part du candidat, une forme d'intentionnalité ». Des consultations juridiques produites par Suez reviennent logiquement sur l'étude de l'action d'entreprendre. Les conclusions susvisées citent notamment les productions des professeurs Hoepffner et Nicinski qui dressent un parallèle entre l'exclusion étudiée et les notions de « pratiques commerciales trompeuses » et de « manœuvres frauduleuses » en retenant deux éléments dans l'action d'entreprendre. Le premier est moral, « entreprendre suppose une décision, une résolution de faire quelque chose » et l'autre matériel, « entreprendre suppose une tentative d'exécution de cette décision, laquelle peut ou non aboutir » (concl. Rapp. N. Labrune, CE, 2 févr. 2024, n° 489820, Sté Suez Eau France, p. 6).
Les exclusions à l'appréciation de l'acheteur ont pu être décrites comme « un dispositif fourre-tout qui ne manque pas de sel » (E. Pourcel, Exclusion des marchés publics : il n'est pas interdit d'interdire : Contrats-Marchés publ. 2017, étude 1). En effet, leur champ est large et leur emploi repose sur des faits graves dont l'affirmation suppose des preuves et implique un risque de contentieux administratif et pénal de la part de la personne exclue. De ce point de vue, il apparaît cohérent que le Conseil d'État ait retenu, à l'occasion de cette première étude des éléments à prendre en compte pour retenir l'exclusion décrite au 2e item de l'article L. 3123-8 du CCP, une interprétation stricte du dispositif en considérant qu'il ne peut être retenu que lorsque l'autorité concédante « identifie des éléments précis et circonstanciés indiquant que l'opérateur a effectué des démarches qu'il savait déloyales en vue d'obtenir des informations dont il connaissait le caractère confidentiel et qui étaient susceptibles de lui procurer un avantage indu dans le cadre de la procédure de passation » (CE, 2 févr. 2024, n° 489820, Sté Suez Eau France, cons. 5).
Aussi, dans cette affaire, le juge des référés du TA de Paris n'a commis aucune erreur de droit en considérant que la société Veolia ne pouvait être regardée comme une personne ayant entrepris des manœuvres correspondant aux faits décrits à l'article L. 3123-8. Ces considérations sont motivées par le fait que l'obtention des données avait été causée par un « dysfonctionnement informatique majeur dû à une erreur de programmation de la plateforme utilisée par le pouvoir adjudicateur ». À ces premiers éléments s'ajoute la circonstance que Véolia ait informé le SEDIF de l'incident « avant la poursuite de la procédure de négociation et le dépôt de son offre finale, de sorte qu'elle devait être regardée comme ayant nécessairement renoncé à tirer parti de ces éléments dans le cadre de la procédure » [nous surlignons]. Il ressort donc de la motivation du Conseil d'État que la simple démonstration du caractère involontaire de l'accès aux informations confidentielles ne suffit pas à écarter la cause d'exclusion. Il convient aussi de rechercher un élément moral témoignant du fait que la personne s'est abstenue d'user des informations obtenues.
Il est d'ailleurs intéressant de souligner que Suez soutenait que l'exclusion est constituée dès lors que Véolia a eu en sa possession les informations confidentielles et cela, peu importe le comportement postérieur à la matérialité de ces faits. Or, par la formule « entrepris d'obtenir », la rédaction de l'article L. 3123-8 du CCP pourrait abonder dans le sens des prétentions de Suez dans la mesure où le dispositif semble viser la simple intention d'obtenir. Aussi, il semblerait que l'intention d'obtenir des informations confidentielles est susceptible de justifier une exclusion dès lors que l'autorité concédante dispose de preuves de démarches déloyales effectuées en connaissance de cause. Cependant, dans l'hypothèse où le candidat a involontairement eu les informations en sa possession, il ne semble pas exister de manquement associé à la simple tentative et il n'y a pas non plus d'impossibilité de désistement. Finalement, si le candidat n'a pas obtenu volontairement ces informations, il pourrait néanmoins lui être reproché d'en avoir profité.
En faisant reposer la légalité de la non-exclusion sur la chronologie de l'information à l'autorité concédante, le Conseil d'État peut débouter Suez alors même que Véolia a attendu une semaine avant d'informer le SEDIF et que cette dernière a dupliqué, imprimé et téléchargé les données sur un dossier partagé et nommé « concurrent » consultable par plusieurs personnes de l'entreprise. Le juge n'a ainsi pas à trancher la question de savoir si la semaine expectative que s'est accordée Véolia est conforme à la condition d'information « sans délai » énoncée à l'article L. 3123-15 du CCP et reprise à l'article 10 du règlement de consultation « phase offres » puisque ces dispositions ne sont applicables que dans l'hypothèse où le candidat se trouve dans une situation d'exclusion.
Si ce raisonnement autorise un candidat à évaluer ses chances d'attribution avant d'informer l'autorité concédante de sa possession d'informations confidentielles, il permet au juge administratif de disposer d'un récit préservant l'égalité de traitement des candidats et finalement, la continuité d'une concession vitale à la région.
La phase finale de remise des offres prévue dans le règlement de consultation est une étape essentielle. Conformément à sa jurisprudence Transdev, le Conseil d'État rappelle que ni les dispositions des articles L. 1411-1 et suivants du Code général des collectivités territoriales ni celles, législatives ou réglementaires du CCP, « ne font obligation à l'autorité délégante de définir, préalablement à l'engagement de la négociation, les modalités de celle-ci ni de prévoir le calendrier de ses différentes phases » (CE, 8 nov. 2017, n° 412859, Transdev, cons.4).
Aussi, la décision rappelle également que lorsqu'il est prévu que les offres seront remises selon des modalités et un calendrier fixé par le règlement de consultation, le respect du principe de transparence de la procédure exige de ne pas remettre en cause « les étapes essentielles de la procédure et les conditions de la mise en concurrence » [nous surlignons] (CE, 8 nov. 2017, n° 412859, Transdev, cons. 4). En conséquence, lorsqu'un règlement de consultation prévoit une étape de remise des offres finale à une date déterminée, cette phase finale constitue une étape essentielle de la procédure de négociation qui ne peut normalement pas être remise en cause au cours de la procédure.
Ainsi, le principe fixé par une jurisprudence constante demeure : la modification du calendrier est impossible sauf à aller dans le sens d'une prorogation des délais et à condition de recueillir l'accord de l'ensemble des candidats admis à présenter une offre (CE, 13 déc. 1996, n° 169706, Synd. intercommunal pour la revalorisation des déchets du secteur Cannes-Grasse). À défaut d'accord, qui peut être tacite et déduit de la poursuite des négociations (CE, 24 juin 2011, n° 347889, Cne Bourgoin-Jallieu : JCP A 2011, act. 481 ; Contrats-Marchés publ. 2011, comm. 262, G. Eckert), les modifications en cours de procédure seraient illégales (CE, 24 mai 2017, n° 407431, Cne Limoux : JCP A 2017, act. 420 ; JCP A 2017, 2161, comm. J-B. Vila ; Contrats-Marchés publ. 2017, comm. 194, M. Ubaud-Bergeron. – CE, 9 juin 2017, n° 408082, Cne Saint-Maur-des-Fossés : Contrats-Marchés publ. 2017, comm. 222).
Renoncer à la phase finale de remise des offres : « la pire des décisions à l'exception de toutes les autres ». L'existence d'un calendrier organisant plusieurs phases de remise des offres n'exempte pas l'autorité délégante de veiller au respect des principes de la commande publique et notamment à l'égalité entre les candidats. De ce point de vue, le Conseil d'État souligne que la décision, par laquelle le SEDIF a modifié le déroulement de la procédure en renonçant à recueillir les offres finales des soumissionnaires et en décidant de procéder au choix du délégataire non sur la base de celles-ci mais sur celle des offres intermédiaires et d'une mise au point avec chacun des candidats, « avait été prise pour remédier à la transmission par erreur à la société Veolia » d'informations relatives à l'offre du concurrent. Aussi, en reprenant sa jurisprudence dite « Transdev », le juge fonde la légalité de la décision du SEDIF sur les « circonstances particulières de l'espèce » et « l'absence de manœuvre » de Véolia (CE, 8 nov. 2017, n° 412859, Transdev, cons. 6).
En effet, les « circonstances particulières » de l'espèce semblent confronter l'autorité concédante à une « situation inextricable, dont aucun chemin légal ne lui permettait de sortir » (concl. Rapp. N. Labrune, CE, févr. 2024, n° 489820, Sté Suez Eau France, p. 8). L'avantage dont avait bénéficié Véolia écarte la possibilité d'une mise en concurrence des offres finales. Dans le même temps, le contexte de la distribution de l'eau francilienne, historiquement attribuée à la Compagnie générale des eaux et son héritière Véolia avec pour seul concurrent la Lyonnaise des eaux devenue Suez Eau France, empêche de relancer une nouvelle procédure pour le même besoin puisque celle-ci ne changerait rien au problème d'asymétrie informationnelle, affectant la mise en concurrence, rencontré au stade de l'offre finale.
Suez soutenait que la procédure de passation n'avait pas atteint un degré de maturité suffisant pour que la jurisprudence Transdev soit appliquée. Le Conseil d'État ne se livre pas à une appréciation de la maturité des offres intermédiaires. Cependant, en première instance, le juge des référés avait développé ces considérations en rappelant que les candidats avaient disposé, entre l'invitation à soumissionner et la remise des offres initiales, de 246 jours pour élaborer une proposition comprenant notamment « un projet de contrat de concession et un mémoire d'offre composé de cinquante-sept « mémos » portant sur tous les volets du futur contrat de concession », pour ensuite obtenir un nouveau délai de 112 jours, « au cours duquel une semaine de réunions de négociations a été consacrée à chacune d'entre elles » et à l'issue de ce délai, les candidats ont encore eu 120 jours, avant le dépôt de l'offre intermédiaire, « pendant lequel le SEDIF a posé aux soumissionnaires de nombreuses questions et a apporté à leur offre respective des propositions d'amendements et des commentaires en vue de leur amélioration ». Dès lors, le jugement retenait d'une part que Suez a été mis en mesure de présenter « une offre initiale et une offre améliorée, lesquelles étaient complètes et formalisées à l'issue d'échanges approfondis avec l'autorité concédante » et d'autre part que les candidats « ont bénéficié des mêmes délais, des mêmes temps d'échanges avec l'autorité concédante » ce qui induit qu'ils ont « été traités dans le respect du principe d'égalité, tout au long de la procédure de négociation » [nous surlignons] (TA Paris, 29 nov. 2023, n° 2325466, Suez, préc., cons. 8). Sans qu'il soit possible d'affirmer que la recherche d'une offre intermédiaire « complète et formalisée » constitue un critère pour le Conseil d'État, il convient de rappeler que la jurisprudence Transdev retenait également que « les négociations avaient donné lieu à de nombreux échanges entre la métropole et les candidats qui avaient disposé d'un délai suffisant, et strictement identique, pour présenter leurs offres » [nous surlignons] (CE, 8 nov. 2017, n° 412859, Transdev, cons. 5). Aussi, il convient sans doute, au titre des « circonstances particulières de l'espèce », de retenir le degré de maturité de la procédure en tant que critère souverainement apprécié par le juge du référé. Cet exercice d'alchimie consistant à transformer une offre intermédiaire en offre finale, privant ainsi les candidats de la chance de pouvoir améliorer leurs offres, ne manquera sans doute pas d'interroger.
La procédure aurait néanmoins pu survivre à ces « circonstances particulières » dans l'hypothèse de « manœuvres » de Véolia justifiant son exclusion. Cependant, il a été précédemment exposé que l'autorité concédante ne pouvait pas exclure Véolia de la procédure. Si bien que la solution consistant à figer la procédure à la dernière offre précédant la divulgation de la fuite d'informations semble constituer « la pire solution à l'exception de toutes les autres » affirmait, en paraphrasant Churchill, le rapporteur Nicolas Labrune dans ses conclusions sur la décision commentée.
Conclusion. Cette décision apporte des précisions utiles quant aux éléments à prendre en compte pour exclure un candidat ayant eu en sa possession des informations relatives à l'offre d'un concurrent. Il convient de remarquer que dans l'hypothèse d'une fuite de données, le candidat qui en est le détenteur peut renoncer à tirer profit des informations confidentielles en s'évitant ainsi le risque d'une exclusion de la procédure. L'appréciation de l'intention du candidat implique de teinter le contentieux précontractuel de considérations plutôt associées à la matière pénale.
Cette décision participe d'une logique jurisprudentielle visant à préserver l'égalité de traitement des candidats au détriment des documents de la consultation. En rappelant les liens existants entre égalité de traitement des candidats et concurrence (H. Hoepffner, Droit des contrats administratifs : D. 2022, p. 351), il convient de souligner que cela participe finalement d'une préservation de la concurrence au détriment des procédures de mise en concurrence. Dans cette affaire, il semble en revanche difficile de déterminer si la protection de l'égalité de traitement des candidats converge également avec l'intérêt des usagers. En effet, malgré la timide prise en compte de la maturité des offres intermédiaires, il est impossible de déterminer le contenu des offres finales sacrifiées.
Du côté des pouvoirs adjudicateur et entités adjudicatrices, l'appréciation des motifs d'exclusion facultatifs semble devoir impliquer d'organiser la traçabilité des mesures et vérifications effectuées à la suite des incidents. Il semble pertinent d'intégrer ce dispositif à une procédure d'enquête interne notamment en matière d'atteinte à la probité, de fuite d'informations, de conflits d'intérêts, d'influence indue, de distorsion de concurrence et d'entente.
Pour les opérateurs économiques de bonne foi, dans l'optique d'éviter un risque d'exclusion, il semble également nécessaire de prévoir les mesures de gestion interne liées aux incidents décrits à l'article L. 3123-8 du CCP.
Mots clés : Contrats / Commande publique. - Exclusion.
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