Alors qu'est envisagée une proposition de loi, déjà appelée « de Loi Sapin 3 », visant à renforcer la lutte contre la corruption, qui viendra consolider les obligations à destination des personnes publiques et parapubliques, l'actualité nous permet de revenir sur les conséquences d'un cas récent de manquement aux obligations de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique (dite « Sapin 2 »). - À l'issue d'un de ses contrôles, l'Agence française anticorruption (AFA) a rendu, fin juillet, un rapport sur la Chambre de commerce et d'industrie de Nice Côte d'Azur (CCINCA). Les conclusions de ce rapport, relayées par Mediapart, révèlent de nombreux dysfonctionnements internes, qui véhiculent une image très négative de l'établissement public. - Ce précédent constitue une mise en garde à l'égard des personnes publiques qui, souvent, ne se sentent pas encore suffisamment concernées par la lutte contre la corruption. Il est l'occasion de faire une piqûre de rappel sur les obligations qui pèsent sur les personnes publiques en la matière
L'application de la loi Sapin 2 aux entités publiques et parapubliques. – L'article 17 de la loi Sapin 2, complété des recommandations de l'AFA, s'est désormais imposé comme le référentiel français de la prévention de la corruption.
Les grandes entreprises françaises (de plus de 500 salariés et 100 M € de chiffre d'affaires), soumises à l'obligation d'adopter un programme de prévention de la corruption, sont aujourd'hui familières de la notion de conformité ainsi que de ses outils incontournables tels que la cartographie des risques ou l'évaluation des tiers.
Aussi, en 2020, seule une petite minorité des sociétés françaises ne semblaient démontrer qu'un « engagement faible » en matière « d'actions de prévention et de surveillance des risques de corruption » (KPMG, Enquête loi Sapin II : Retour d'expérience 3 ans après son entrée en vigueur, 2020).
En revanche, la déclinaison publique du programme de prévention de la corruption peine davantage à se faire une place au sein de l'organisation de nombreuses entités publiques et parapubliques. L'AFA a ainsi souligné à de nombreuses reprises la faiblesse des dispositifs présents au sein du secteur public (F. Jourdan, Compliance dans les collectivités : l'Agence française anticorruption pointe l'insuffisance des dispositifs mis en place : JCP A 2019, 2042).
Pourtant l'article 3 de la loi Sapin 2, qui dote l'AFA de ses prérogatives de contrôle et la charge d'élaborer des recommandations en matière de prévention de la corruption, vise explicitement les administrations de l'État, les collectivités territoriales, leurs établissements publics et sociétés d'économie mixte, ainsi que les associations et fondations reconnues d'utilité publique.
Dès lors, les acteurs publics ne sont pas à l'abri d'un contrôle inopiné de l'AFA, comme ce fut le cas pour la CCI de Nice. Selon le rapport annuel d'activité 2020 de l'AFA, depuis les premiers contrôles en 2018, 125 contrôles et examens ont été engagés, dont 41 portant sur des acteurs publics tels que des communes, des universités ou encore des agences de l'État.
L'absence d'amende n'exclut pas l'existence de « sanctions » pour les personnes publiques. – Ce retard dans l'appropriation de la loi Sapin 2 par les entités publiques trouve une explication dans la combinaison de différents facteurs.
Tout d'abord, ce n'est qu'au titre de ses recommandations que l'AFA étend l'adoption des outils de l'article 17 à l'ensemble des personnes publiques et parapubliques. À ce titre, il convient de souligner que ces entités ne doivent pas seulement prévenir les risques de corruption et trafic d'influence mais l'ensemble de ceux issus des manquements au devoir de probité incluant ainsi le favoritisme, la prise illégale d'intérêts et le détournement de biens publics.
L'AFA a ainsi récemment publié des recommandations dédiées aux personnes publiques (F. Jourdan, Y. Benrahou, La mise à jour du logiciel de l'Agence française anticorruption : une aubaine pour les collectivités : JCP A 2021, 2079).
En outre, le retard de certains acteurs publics dans l'application des recommandations de l'AFA résulterait de l'absence d'amendes prononcées contre les personnes publiques et parapubliques en cas de manquement à leurs obligations prudentielles.
Il convient de remettre en question la pertinence de cette affirmation. En effet, quand bien même il n'existe pas de sanction pécuniaire prévue par la loi, l'AFA dispose néanmoins d'autres prérogatives lui permettant d'inciter les personnes publiques à prévenir la corruption.
Les contrôles donnent notamment lieu à l'établissement d'un rapport transmis aux représentants de l'entité contrôlée et, le cas échéant, aux autorités qui l'ont sollicité. Il contient les observations de l'Agence sur la qualité du dispositif en place ainsi que des recommandations en vue de son amélioration. Or l'AFA est en mesure de décider de la publication de ce rapport.
Ces contrôles, ou les fuites inhérentes à ceux –ci, peuvent ainsi jeter le discrédit sur l'entité concernée et inciter les autres acteurs disposant de prérogatives de contrôles administratifs, tels que les chambres régionales des comptes, l'Autorité de la concurrence ou la Haute autorité pour la transparence de la vie publique, à venir vérifier la conformité de la personne morale aux dispositions dont ils assurent le respect.
Dès lors, il serait erroné de considérer que les personnes publiques sont à l'abri d'une quelconque sanction consécutive à un rapport de l'AFA pointant l'insuffisance de gestion des risques de corruption. Une entité dont le nom serait associé à la corruption devrait assumer le coût démocratique de l'opinion des administrés sur sa gouvernance.
Ce fut le cas pour les conclusions du rapport de l'AFA mettant en cause les dirigeants de la CCI de Nice rendues publiques un mois avant les élections consulaires.
Il convient également de prendre en compte le coût commercial et financier de la réticence des opérateurs économiques à voir leur image de marque associée à des acteurs publics ayant mauvaise presse. La réparation du préjudice moral résultant de l'atteinte à la notoriété d'une personne publique étant admis par le juge en matière de corruption (Cass. crim., 8 févr. 2006, n° 05-80.488 : Dr. Pénal 2006, comm. 73).
Enfin, pour les plus mauvais élèves, cela peut aboutir à une saisine du procureur de la République par le biais de l'article 40-1 du Code de procédure pénale, qui oblige les officiers publics ou fonctionnaires à le saisir lorsqu'ils acquièrent la connaissance d'un crime ou d'un délit, ou celui des associations agréées telles qu'Anticor, Transparency international ou Sherpa.
Le cas de la CCI de Nice démontre qu'un rapport de l'AFA, en principe confidentiel, peut avoir des répercussions importantes lorsqu'il expose des pratiques aussi contestables que celles qui y sont observées.
Enfin, il convient de souligner que la proposition de loi visant à renforcer la lutte contre la corruption projette d'ajouter un article qui rendra encore plus contraignantes les obligations de lutte contre la corruption pour les entités publiques.
Les lacunes du dispositif de prévention de la corruption. – Le rapport de 150 pages sur la CCI de Nice formule de nombreuses critiques à l'égard de l'établissement public. L'affaire pourrait constituer un cas d'école en la matière et n'a donc pas manqué de retenir l'attention des journalistes.
On apprend tout d'abord que les dirigeants de la CCI n'avaient, à l'époque du contrôle de l'AFA, mis en œuvre aucun des dispositifs prévus par la loi Sapin 2, dont ils n'avaient tout simplement pas connaissance, ce malgré l'importance des risques de corruption dans l'environnement des CCI.
En effet, la CCI ne disposait pas d'une politique de prévention et gestion des conflits d'intérêts, de contrôles relatifs aux frais de déplacement et de représentation ou encore de procédure d'évaluation des risques liés aux marchés publics et aux subventions. L'AFA a considéré que les procédures en place, dont la simple existence de commissions, n'étaient en elles seules pas suffisantes pour prévenir ces risques.
Or, ces manquements font partie des faiblesses constamment observées, au sein de nombreuses entités publiques encore en retard, sur les objectifs fixés par l'AFA.
Dans le cas de la CCI de Nice, de telles politiques auraient peut-être pourtant permis d'éviter la concrétisation de certains risques et de sanctionner d'éventuels manquements à la déontologie interne. Elles auraient également fourni à la CCI des éléments lui permettant de préserver la réputation de la personne publique en apportant des réponses claires au contrôleur et aux journalistes.
Une négligence dangereuse. – Sans doute en raison de ces lacunes du dispositif anticorruption, le rapport de l'AFA revient sur « des risques réels qui se sont déjà concrétisés ».
Les enquêteurs de l'AFA déclarent avoir pris connaissance de « cas majeurs et complexes d'atteinte à la probité supposée » au titre desquels par exemple un contrat signé sans délégation de pouvoir avec le ministère de la défense camerounais en 2015 ou des détournements comptables en 2013.
Le rapport évoque également les milliers d'euros de frais mensuels remboursés au président et à l'ancien directeur de la CCI, ainsi que l'utilisation « à des fins privées » de voitures avec chauffeur.
Certains de ces éléments n'ont pas manqué de retenir l'attention de la presse qui s'est ainsi attardée sur le recrutement de la fille d'un membre de la direction sur un poste d'animation en tant que saisonnier pour un salaire vraisemblablement surévalué, ou sur les deux contrats attribués par le CCI au président l'Union pour les entreprises des Alpes-Maritimes qui « espère être élu à la tête de la CCI en 2022 ».
Il est donc probable que certains de ces faits risquent une qualification en délit pénal. L'antenne locale de l'association Anticor a déjà annoncé qu'elle saisirait la justice.
Conclusion. – Par l'exemple, le cas de la CCI Nice Côte d'Azur démontre l'intérêt, pour les personnes publiques, d'adopter un programme de prévention de la corruption. Cet évènement met en lumière la vulnérabilité des personnes publiques peu ou mal préparées sur ce sujet. Ce constat ressort globalement des contrôles exercés par l'AFA, qui laissent apparaître « d'importantes marges de progrès en ce qui concerne la prévention et la détection des atteintes à la probité » (AFA, rapp. annuel 2020).
Il est donc grand temps pour l'ensemble des acteurs publics de se saisir de cet enjeu essentiel et de prendre conscience des obligations qui pèsent sur eux en la matière.