JOURNAL

Marchés publics : comment le covid-19 pourrait faire remonter les seuils

Commande publique

Fleur Jourdan
LE JOURNAL

Pour relancer l'économie à la suite de l'épidémie de Covid-19 il a été envisagé de relever temporairement de 40 000 à 100 000 euros le seuil de dispense de publicité et de mise en concurrence pour les marchés publics. - Les sénateurs de La République en marche (LREM) ont déposé un amendement en ce sens dans le cadre du nouveau projet de loi relatif aux mesures prises pour faire face à la crise sanitaire dont l'examen au Sénat a débuté en séance publique mardi 26 mai 2020. - L'idée était d'augmenter le seuil en dessous duquel les marchés publics sont dispensés de l'obligation de publicité et de mise en concurrence préalables jusqu'au 10 juillet 2021, soit pendant un an après la fin de l'état d'urgence sanitaire décidé par l'exécutif

Il convient de rappeler que ce seuil de dispense de formalités, initialement fixé à 4 000 euros avait déjà été relevé à 15 000 euros HT en 2012 (D. n° 2011-1853, 9 déc. 2011), puis à 25 000 euros HT en 2015 (D. n° 2015-1163, 17 sept. 2015 modifiant certains seuils relatifs aux marchés publics) pour être récemment à 40 000 euros le 1er janvier dernier par le décret n° 2019-1344 du 12 décembre 2019modifiant certaines dispositions du code de la commande publique relatives aux seuils et aux avances.

Il a donc ici été imaginé de faire plus que doubler ce seuil pour tous les marchés de travaux, de fournitures ou de service.

Les rédacteurs de ce texte affirmaient qu'« avec cette mesure adaptée et strictement limitée au temps nécessaire à la relance de notre économie, les acheteurs pourront, avec toute la souplesse que nécessite cette crise, contracter plus rapidement avec des entreprises et notamment des PME grâce au maintien de l'obligation d'allotissement », ce qui devrait avoir pour effet « d'accélérer la relance par l'investissement public ».

La commande publique représente aujourd'hui près de 8 % du produit intérieur brut (PIB) du pays et sans en augmenter le montant, il s'agit de pouvoir accélérer les procédures et ainsi d'injecter plus rapidement de l'argent public dans l'économie.

La discussion en séance qui a eu lieu le 28 mai sur ce texte fut finalement assez consensuelle. Les débats ont essentiellement porté sur la durée de cet amendement ainsi que sur son seuil : le seuil de 90 000 qui existe déjà en matière d'obligation de publicité a été proposé.

Mais in fine, l'amendement a été retiré par la rapporteure parce qu'il était de nature réglementaire et non législative.

Le législateur avait en effet déjà tenté de relever le seuil mais afin de le soustraire aux décisions, jugées trop sévères du Conseil d'État (CE, 10 févr. 2010, n° 329100, Perez : JCP A 2010, 2068). Cette tentative n'avait pas convaincu le Conseil constitutionnel (Cons. const., 13 août 2015, déc. n° 2015-257 L : JO 18 août 2015, p. 14428).

Outre cette question de domaine réglementaire, il pourra être également souligné la rédaction curieuse (et sans doute erronée) de l'article d'application qui prévoyait que « le présent article s'applique aux marchés publics conclus par l'État ou ses établissements publics en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française, dans les îles Wallis et Futuna et dans les Terres australes et antarctiques françaises », ce qui lui aurait donné une portée géographique relativement limitée.

Dans la mesure où cet amendement était signé par le groupe LREM du Sénat, et avait reçu un avis favorable de la commission, le Gouvernement va peut-être envisager de transformer cet amendement en un nouveau décret de relèvement des seuils. Cette idée n'est donc peut-être que partie remise.

En revanche, une autre mesure visant à assurer la survie des marchés publics dont les titulaires sont placés en redressement judiciaire a, elle, été votée dans le texte de loi. Le Sénat a en effet adopté l'article 1er nonies du projet de loi déjà voté par les députés, en le retouchant légèrement.

Il s'agit de déroger temporairement à l'article L. 2195-4 du Code de la commande publique pour interdire à un acheteur public de résilier unilatéralement un marché si l'entreprise titulaire se trouve placée en redressement judiciaire pendant l'état d'urgence sanitaire ou l'année qui suit (selon l'Assemblée nationale) ou avant le 10 juillet 2021 (selon le Sénat).

La Semaine Juridique Administrations et Collectivités territoriales n° 23, 8 Juin 2020, act. 309